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publié par gab le 28/06/13
The Delgados - spéciale 100e édition du Tour de France -
spéciale 100e édition du Tour de France

Si le cargo ignore superbement tout évènement sportif d’importance depuis que son correspondant ès sports a eu un fâcheux petit accident à l’issue de la coupe du monde de football 2006, il ne pouvait décemment rester de marbre à l’annonce de la 100e édition du Tour de France. Comme nous, vous avez évidemment tous une petite anecdote à partager sur le Tour : les après-midis à écouter la radio courbé en deux derrière un tracteur, les 2 secondes où vous avez vu le maillot jaune passer devant vous dans un col de montagne au milieu du peloton (de ce côté-là, la caravane du Tour est quand même nettement plus avantageuse), la première fois où vous avez vu Jeannie Longo surclasser ses petites camarades (Luz-Ardiden, 1912 .. oups 1913), l’hymne composé fébrilement lors d’une échappée héroïque de Richard Virenque un jour de fête nationale, tous ces moments qui vous reviennent alors que vous ne vous êtes jamais un tant soit peu intéressé au vélo ! On n’ose même pas imaginer l’état dans quel sont les vrais amateurs de ce sport. Le Tour a donc 100 ans ou plutôt 110 ans comme nous l’expliquait un intervenant du public au masque et la plume sur France Inter (c’est suffisamment incongru pour être noté) puisqu’il y a visiblement eu 10 ans d’interruption de service pour cause de guerre mondiale (excuses acceptées). Et quelle meilleure occasion me direz-vous que cette commémoration nationale pour se faire une petite rétrospective The Delgados ? 

braquet

C’est en effet le moment idéal puisque personne n’a oublié Pedro Delgado, ce fringant « mayo yaune » espagnol de la fin des années ’80. Et ça a forcément un rapport, comment expliquer sinon cet étonnant choix de patronyme pour un groupe tout ce qu’il y a de plus écossais ? Mais j’entends d’ici mes petits camarades s’indigner de ce zoom cargotien alors qu’on a déjà à peu près tout ce qu’il faut comme chroniques sur ce groupe et toujours pas un mot sur, allez, au hasard, Yves Montand (bicyclette oblige). Certes, les amis, certes, mais je tiens à profiter de la 100e édition du Tour de France pour faire ce qui me titille depuis pas mal d’années maintenant, redorer le blason de ce fantastique groupe injustement égratigné ici-même par des chroniqueurs peu scrupuleux. Car la question se pose, que faire lorsqu’on n’est pas en totale adéquation avec le contenu de certains articles de ses collègues cargotons ? Un contre-article, pardi. Parfaitement ! Il faut savoir prendre des risques dans la vie (non, pas par-dessus bord !) et choisir le bon moment pour s’échapper en solitaire. Changement de braquet donc et contre-attaque à 40km de l’arrivée.

dosage

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Kilomètre 310, un quatuor écossais inconnu s’extrait du lot des concurrents musicaux indépendants avec son deuxième album, le bien nommé Peloton (1998). L’accélération est d’ailleurs si brutale qu’elle laisse tout le monde sur place à se demander ce qui a bien pu se passer. Il faut dire à leur décharge que The Delgados est loin de rouler à l’eau claire. Ils se sont même concoctés un mélange détonnant de mélodies impeccables et de changements d’ambiance impromptus, passant en un instant de la douceur à flûte ou cordes aux plans de guitare nettement plus musclés. Et le plus incroyable est que cela fonctionne parfaitement (oui, même les collages de "Blackpool"), loin de se perdre en chemin dans une surenchère instrumentale, ils empilent ambiances musicales et instruments tout en conservant une étonnante sobriété générale. Sobriété entretenue par des chants (masculin et féminin) alliant douceur et fermeté dans un dosage à faire pâlir même un médecin assermenté du Tour. Et The Delgados d’enchaîner les pépites ("The actress", "Clarinet") tandis qu’on fond sous tant de délices, irrémédiablement conquis (par les intonations savoureuses d’Emma Pollock aussi, oui).

échappée

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Kilomètre 322, alors que le peloton avait reprise 20’’ sur l’échappée et menaçait de rattraper nos coureurs, coup de théâtre, The Delgados change de manager sportif et Dave Fridmann (Mercury Rev) prend les commandes de la voiture d’équipe. Sachant faire vibrer l’oreillette comme pas deux, voilà qu’il donne un second souffle à nos quatre échappés et les relance pour un tour avec The great eastern (2000). On découvre alors un album un peu moins accessible de prime abord, au son nettement plus trituré et saturé, avec toujours la présence des cordes et de flûte mais nettement moins de ruptures brutales dans les morceaux. Les changements d’ambiance se font avec plus de subtilité et le disque gagne en homogénéité. Côté chant, on sent qu’Alun Woodward prend de l’assurance, notamment sur les morceaux emblématiques ("American trilogy", "No danger"), quitte à revendiquer ses légères sorties de routes côté justesse vocale, tandis qu’Emma s’oriente vers plus de nostalgie ("Reasons for silence", "Witness"). Ils se retrouvent pour mettre tout le monde d’accord le temps de deux excellents duos : "Thirteen gliding principles", tour à tour délicat et torturé, et l’hymne-en-demi-teinte (c’est concept) "Aye today". Généralement moins pop que son prédécesseur, The great eastern est aussi, on s’en serait douté, le disque de la reconnaissance critique.

oreillette

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Kilomètre 329, incroyable retournement de situation, un virage mal négocié en descente (à la Bernard Hinault dans le Dauphiné Libéré en 1977) et c’est la sortie de route ! Dans un capharnaüm de bras et jambes ensanglantés, le groupe se relève péniblement pendant que, double-retournement, leur directeur d’équipe se fait la malle avec les vélos de rechange. Il a sans aucun doute entraperçu Sleater-Kinney qui s’échauffe innocemment en contre-bas et s’empresse fissa d’aller saloper leur album The Woods pour la peine. Vous l’aurez compris, l’homme qui parlait dans l’oreillette est en réalité un dangereux psychopathe de la saturation numérique de batterie. Il vous flingue un disque en deux minutes chrono. C’est malheureusement la terrible histoire de Hate (2002), le quatrième album de The Delgados qui devait les consacrer et qui à l’inverse décrocha un bonne partie de leurs auditeurs (nous les premiers). Pourtant à le réécouter quelques années plus tard, tout était là, Emma Pollock avait retrouvé de sa superbe au chant, le groupe était au sommet de son art côté refrains à la grandeur irrésistible ("The drowning years", "Never look at the sun"). Mais voilà, côté son Dave Fridmann leur a administré la piquouse de trop et ils se sont fait prendre au contrôle anti-dopage. Quelle idée aussi d’agrémenter le cocktail habituel d’huile de vidange, c’en est tellement louche que ça frise le sabordage volontaire. Et pendant que le monsieur s’en va nous dégoûter de nos autres groupes adorés, les Delgados regardent, dépités, le peloton leur passer devant en riant.

guidon

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Kilomètre 336, alors que le vainqueur au sprint de l’étape reçoit ses fleurs à l’autre bout de la plaine, The Delgados reprend fièrement la route, hors compétition, et nous livre Universal audio (2004), son plus bel album à ce jour, avant de raccrocher définitivement le guidon. Un des albums les plus injustement ignorés des années 2000, soit dit en passant. Alors, certes, le groupe change de chemin pour se tourner vers une formule beaucoup plus pop mais on est très loin d’un traitement « gentillet », bien au contraire. Ce disque devrait même servir de référence absolue en matière de pop indé sans compromission. C’est bien simple, contrairement à leurs précédents albums, il n’y a pas un morceau plus faible que l’autre, pas un seul élément à jeter. Emma Pollock prend l’ascendant en quantité de morceaux chantés (ceci expliquerait-il le changement de cap ?) et donne le ton de ses magnifiques "Sink or swim", "I fought the angels", "Keep on breathing" et "The city consumes us". Des classiques instantanés qui bouleversent autant qu’il donnent envie de prendre sa guitare à son tour. Les morceaux chantés par Alun Woodward, quant à eux, gagnent en efficacité à mesure qu’ils s’allègent, la grandiloquence va un moment mais il était temps qu’il retrouve l’évidente simplicité qui fait qu’un "Girls of valour" ou "Is this all I came for ?" tournent à la démonstration. Un album au final que seule la maturité artistique pouvait engendrer.

criteriums

The Delgados s’arrête donc sur cette pièce maîtresse, fruit de toutes ces années de recherche, et c’est très bien comme ça. Tous les sportifs vous le diront, il faut à tout prix éviter la course de trop et se ranger des criteriums au sommet, non pas de la gloire puisque le groupe sera toujours resté aux portes de la reconnaissance grand public, mais de votre potentiel et de votre intégrité artistique. De ce point de vue-là, c’est mission accomplie, ils peuvent admirer avec fierté leur carrière dans le rétroviseur et prendre un repos mérité, le devoir accompli. Quant à nous autres observateurs occasionnels du monde cyclo-musical, on va tout de même attendre les 150 ans du Tour pour vous faire un topo complet sur ces groupes qui, à l’instar des Fignon Cannibals, LeMondheads ou encore Anquetil & Jalabert Stone, ont rendu de leur nom hommage à cet aussi inventif que stupéfiant sport.

 

P.-S.

Les plus attentifs d’entre-vous auront noté que l’échappée démarre avec le 2e album du groupe, Peloton. Que voulez-vous, c’est comme pour la retransmission du Tour à la télé, on ne voit jamais les premiers 100Km de course pour la très bonne raison qu’il ne s’y passe pas grand chose. Domestiques, le premier disque de The Delgados, est, vous l’aurez compris, à réserver aux inconditionnels du groupe, ceux qui se sont levés à 5h du mat’ pour aller installer leur chaise pliante au 21e virage de l’Alpe d’Huez. Aux autres, croyez-nous sur parole, la retransmission télé suffira amplement.

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publié par le 28/06/13