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publié par benoît le 27/10/08
Robert Gil - C'est un peu un rêve de gosse !

Au Cargo, nous avons décidé de donner la parole à ceux dont la principale qualité est de rester discret : les photographes de concert.

Nous inaugurons cette série d’interviews aujourd’hui avec l’incontournable Robert Gil, omniprésent au pied des scènes parisiennes.

Depuis combien de temps es-tu photographe ?

De façon régulière, depuis un peu plus de trois ans maintenant. Auparavant je faisais ça en dilettante, en argentique et en noir et blanc, et je réalisais mes propres tirages.

Je me suis pris un peu au jeu et à la vitesse du numérique, qui offre la possibilité d’un partage facile par l’intermédiaire d’internet. J’ai donc créé mon site pour partager mes photos, et j’ai eu la chance d’être vite contacté par la presse, puisque j’ai apparemment une "gueule" qui se remarque (ce qui a ses avantages et ses inconvénients). Au bout d’un mois, le rédacteur en chef du magazine Versus est venu me voir pendant un concert de Therapy ?, me demandant s’il pourrait utiliser mes photos. Pour moi, le fait d’être publié était réservé à quelques surdoués, donc c’est sans trop y croire que je lui ai envoyé ce que j’avais fait. Mais ça faisait tout à fait l’affaire.

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Emiliana Torrini, octobre 2008

Ensuite, un journaliste de Longueurs d’ondes est venu me trouver et m’a présenté à son rédacteur en chef. En deux mois, avec très peu de concerts à mon actif, j’ai eu la chance de commencer à collaborer avec deux magazines, ce qui m’a permis de décrocher des accréditations que j’aurais eu beaucoup de mal à obtenir autrement, et ainsi de continuer à alimenter mon site. Je publie quatre ou cinq photos par mois dans la presse (pas seulement la presse musicale). La presse spécialisée est un gros consommateur de photos musicales, mais elle est malheureusement sur le déclin...

Ton site est donc une sorte de grand « marché aux images » ?

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Vive La Fête, octobre 2005

Je pars du principe que lorsque les photos sont en ligne sur mon site, elles ne m’appartiennent plus vraiment. Certains webzines me les demandent pour illustrer leurs articles, ou le font parfois sans me demander, mais je ne m’en formalise pas plus que ça. De toutes façons il n’y a pas réellement de moyens de lutter contre ça, et puis ce n’est pas dans mon esprit. J’ai une démarche assez bon enfant à ce niveau-là. Les photos sont un peu en libre-service ; c’est vrai que ça peut être gênant dans le cas d’une publication presse : si un magazine décide de faire sa couverture d’une photo qui a déjà été vue par tout le monde, ça perd un peu de son charme. Mais bon, je n’ai jamais fait de couverture ! D’une manière générale, l’aspect juridique de la chose m’échappe un peu.

Comment fais-tu ton choix parmi l’offre de spectacles à Paris ?

Etant avant tout mélomane, j’essaye de me faire plaisir ; je suis toujours à la recherche de nouvelles sonorités, de nouvelles émotions, c’est ce qui me guide, et le choix à Paris est vraiment vaste. Mais dans la mesure où j’essaye de vendre mes images, il m’arrive parfois de voir des groupes que j’apprécie moyennement...

Quel retour tu as sur tes images auprès des artistes ?

Certains artistes ne veulent pas de photos, d’autres n’aiment pas les images après coup (on ne peut pas plaire à tout le monde...) ou ne souhaitent pas les voir publiées sur le net, mais en général les retours sont plutôt positifs.

Certains sont-ils particulièrement attentifs à leur image ?

Je suis déjà tombé sur des groupes inconnus qui sont hyper chiants avec leur image. A l’inverse, les grandes stars n’ont souvent plus rien à prouver et sont beaucoup plus cool. J’ai eu la chance de croiser Frank Black, qui est maintenant une icône du rock : c’est quelqu’un de super simple, qui met tout de suite à l’aise. C’était pour une séance de portraits pendant un festival, il était habillé assez classe, en costard, et il s’est pourtant allongé par terre de sa propre initiative, sur la pelouse humide, ça ne lui a posé aucun problème.

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Frank Black, juin 2007

Penses-tu que certaines personnes sont particulièrement photogéniques ?

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Queen Adreena, mai 2003

C’est indéniable. Bon, il y a aussi de mauvais photographes - j’en fais peut-être partie... La chanteuse du groupe Queen Adreena, Katie Jane Garside, a une attitude complètement photogénique. Même un mauvais photographe ne pourra faire que de bonnes photos d’elle. Le groupe Vive La Fête est aussi un régal à photographier, la chanteuse est un ancien mannequin avec une prestance naturelle, et son mec a une "sale tête" mais on a envie de faire des photos !

Quand considères-tu qu’une photo est « ratée » ?

En général, je tiens à ce que la personne que je photographie ait les yeux ouverts. Les yeux sont un point d’accroche. Si la personne n’ouvre jamais les yeux et reste collée à son micro, le résultat sera des plus banals. Bien sûr, les yeux fermés peuvent aussi exprimer beaucoup de choses, mais quelqu’un qui n’a pas vécu le spectacle ne comprendra pas nécessairement l’émotion du moment, et il faudra presque légender l’image. D’un autre côté, des yeux ouverts sur un visage inexpressif conduiront au même résultat ! J’essaye donc de faire en sorte que chaque photo parle d’elle-même.

Des souvenirs de moments contraignants ?

En 2007, Siouxsie a exigé que les photographes se placent derrière la console son de l’Elysée Montmartre, c’est-à-dire à 20 mètres de la scène, derrière le public. Dans ces conditions, on ne peut plus faire grand-chose... D’une manière générale en photo de concert, la chance intervient beaucoup. Je reçois pas mal de mails de gens qui se plaignent de la qualité de leurs images, et qui me questionnent sur la technique. C’est vrai qu’il y a deux-trois trucs à maîtriser un peu, un matériel minimum à avoir - même si rien n’oblige à être super équipé - mais il y a aussi une grosse part de chance, y’a pas de mystère... Sur un concert, quand on a dix minutes pour photographier, on doit compter sur un peu de chance. Et puis certains groupes interdisent les prises de vues après le troisième morceau, ils arrivent dans l’obscurité, ou en contre-jour, ou alors dans des nuages de fumée... C’est vrai que ça peut être frustrant.

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Siouxsie, octobre 2007

Deux mots de technique : comment traites-tu tes images après la prise de vues ?

Vu le nombre de concerts que je fais, je m’efforce de m’appliquer le plus possible lors de la prise de vues. Je n’aurais pas le temps - ni les compétences - pour retoucher exagérément. Je modifie souvent la balance des blancs, parfois l’exposition, mais je recadre très peu. Je ne m’amuse jamais à effacer un pied de micro disgracieux, par exemple. Le numérique offre la possibilité de mitrailler un peu plus que de raison, de se donner un peu de marge, mais j’essaye d’éviter le plus possible. En général, il me faut moins d’une heure pour trier et mettre en ligne les images d’un concert.

Ton site comporte uniquement des photos ; n’as-tu pas envie parfois d’en dire plus ?

J’aimerais m’exprimer sur ce que je vois, mais je ne suis pas doué pour écrire. Je laisse ça à ceux qui savent le faire. Je ne veux pas que mon site devienne un webzine comme il y en a beaucoup, et puis au bout de trois ans d’activité, il me semble que j’ai acquis une petite notoriété en termes strictement photographiques, vu le nombre de visites. Les gens viennent pour les images, et il n’y aura que des images. De toute façon, je ne suis pas persuadé que beaucoup de gens lisent des comptes-rendus de concerts. Et ils doivent pouvoir se faire leur propre idée à travers les photos. D’ailleurs certains viennent y trouver ce qu’ils n’ont pas pu voir pendant le concert, s’ils étaient mal placés. J’ai la chance d’être au plus près des artistes, donc j’ai la possibilité de saisir des détails invisibles pour la majorité des spectateurs.

Les artistes ont-ils parfois des réactions sur scène, vis-à-vis des photographes ?

L’interaction avec le photographe a lieu principalement dans les petites salles, on a souvent des poses, des clins d’oeil, ou même des réactions hostiles.

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Pete Doherty, novembre 2006

Un exemple marquant (c’est le cas de le dire) : au concert de Pete Doherty à l’Elysée Montmartre, quand il est arrivé sur scène, il s’est approché du groupe de photographes dont je faisais partie, et il a frappé dans le tas avec son micro. Il m’a pété mon objectif (ce qui m’a coûté assez cher en réparations). Il ne s’en prenait pas spécialement à moi, mais apparemment il avait été poursuivi par des paparazzi toute la journée, et il avait envie de se venger, de se "faire un photographe" avant la fin de la journée. Et c’est tombé sur moi... C’est ce qu’on appelle une relation de "proximité" ! Pourtant j’étais particulièrement discret. Mais c’est vrai que certains photographes ont une démarche assez agressive. Il faut s’avoir s’adapter au lieu où on se trouve. Un truc qui me gêne pas mal vis-à-vis de mes "confrères", c’est le manque de respect par rapport à l’artiste et au public. Les gens qui mitraillent pendant les moments de silence, par exemple. C’est parfois réellement pénible, ça mitraille dans tous les sens. Bon je le fais aussi hein, surtout quand on est limité à trois morceaux. Mais j’essaye quand même de rester discret. Et puis on est quand même des privilégiés : on est invités, placés devant les gens qui attendent depuis parfois des heures en ayant payé leur place, donc la moindre des choses est de rester discret. Un exemple me revient : Regina Spektor, qui a des morceaux super doux, avait prévenu dès le début d’un concert qu’elle ne voulait pas de photos pendant les cinq premiers morceaux, qui devaient être joués piano-voix, donc tout doux. Au bout du deuxième morceau, on entend un "clac clac". Elle s’est interrompue et a demandé au photographe d’arrêter. Je trouve quand même malheureux d’en arriver au stade où l’artiste lui-même est obligé de faire la police !

Tu fais aussi quelques portaits...

Oui, mais je suis beaucoup plus à l’aise en photo de concert, où l’artiste ne te voit pas, ne te connaît pas. En concert, on est un "chasseur d’images" : on guette ce qui se présente. La photo posée nécessite une relation particulière avec l’artiste, il faut organiser quelque chose, trouver une idée, espérer que l’artiste soit consentant, ce qui n’est pas toujours le cas quand la séance a lieu en fin de journée de promo, que tout le monde est fatigué, en plus c’est souvent dans des endroits un peu glauques, des bureaux de maison de disques, et le résultat est souvent décevant. Mais c’est aussi l’occasion d’une vraie rencontre, alors j’essaye de me faire un peu plaisir, de photographier des gens dont j’apprécie le travail ; finalement c’est un peu un rêve de gosse !

- propos recueillis par Benoît Derrier le 30 mai 2008 -

> le site de Robert Gil

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