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publié par benoît le 22/03/11
Le Parti Pirate - "Surveiller internet est absurde et dangereux"

Les temps peuvent sembler durs pour la censure (WikiLeaks, les révolutions arabes...) mais n’oublions pas que la plupart des gouvernements occidentaux s’acharnent à vouloir surveiller le réseau global : d’ici avril 2011, tous les pays membres de l’Union Européenne devront avoir mis en place une loi obligeant les fournisseurs d’accès à internet à stocker les données de communications de leurs abonnés, pour une durée allant de six mois à deux ans. Dans le cadre d’enquêtes policières, les autorités pourront alors avoir accès à vos mails, SMS ou adresses IP. En France, la mesure fait partie du projet de loi LOPPSI 2.

Au nom de buts légitimes comme la lutte contre la pédophilie, cette loi met en place des dispositifs abusifs et liberticides – selon le Parti Pirate. Créé en Suède en 2006, le parti Pirate milite pour le respect des libertés individuelles, et une réforme du droit d’auteur. Il est désormais représenté dans 44 pays.

Christian Engström est vice-président du Parti suédois, et pour le moment seul eurodéputé Pirate. Avant de devenir homme politique, il avait « un métier honnête », comme il dit : programmeur informatique, puis développeur spécialisé dans la recherche de noms de marques. Il a également milité contre la brevetabilité du logiciel. Il est donc particulièrement bien placé pour fournir un point de vue pertinent sur le sujet.

 

Est-ce un hasard si c’est en Suède qu’est né le Parti Pirate ?

Pas tout à fait. La Suède était dans les années 90 le pays au monde le plus connecté à internet. Nous avions une certaine avance dans les nouvelles technologies, et en 2003 s’est formé le groupe d’activistes Piratbyrån (« Le Bureau Pirate ») qui essayait d’ouvrir le débat sur la propriété intellectuelle. Et puis le 1er janvier 2006, Rick Falkvinge, un activiste du net, a mis en ligne une page web avec ce simple message : « I’ve had enough, I’m starting the Pirat Party ». C’était à moitié une blague, mais en 48 heures, la page a reçu trois millions de visites. Alors il s’est dit : « bon, j’ai peut-être mis le doigt sur quelque chose... ». Et il a quitté son poste de manager dans une boite d’informatique pour créer le Parti Pirate.

C’était en réaction aux premières lois contre le partage de fichiers ?

Oui. Le partage de fichiers est quelque chose de positif, qui permet à chacun d’avoir potentiellement accès à toute la connaissance et richesse culturelle mondiale. Malheureusement, les responsables politiques « traditionnels » n’ont pas pris la mesure de cette révolution et se sont laissé influencer par le lobby des grandes maisons d’édition de biens culturels, qui présentent cette fantastique avancée technologique comme une menace. Une menace pour leurs profits, bien sûr.

C’est pour cela que vous proposez une réforme du droit d’auteur.

Oui, nous ne voulons pas abolir le droit d’auteur, mais le réformer. La raison d’être du droit d’auteur est d’assurer une production culturelle et de permettre aux gens de la partager. Mais dans son état actuel, le droit d’auteur nuit à la culture parce que la majorité des oeuvres existantes sont « détenues » par les majors, qui s’assurent avec leurs armées d’avocats que personne ne vient les détrousser. La création est un processus qui se nourrit, d’une façon ou d’une autre, des oeuvres pré-existantes. Mais en l’état actuel des choses, il est par exemple illégal pour un artiste indépendant de produire une oeuvre basée sur la réutilisation partielle d’autres oeuvres appartenant aux majors – à moins que cet artiste n’ait lui-même signé avec une major qui va le défendre et obtenir les autorisations légales. Mais les nouveaux artistes indépendants ne peuvent légalement pas créer de cette manière, ce qui est absurde.

Et la plupart des nouveaux artistes sont indépendants aujourd’hui.

Oui, et c’est en quelque sorte une conséquence du libre partage de fichiers, qui leur a permis de trouver un public plus large. Avant l’avènement d’internet, la seule façon d’être largement diffusé était de signer un contrat avec une grosse maison de disques, ayant les moyens d’assurer une distribution mondiale des oeuvres. Aujourd’hui, n’importe quel adolescent peut le faire en un clic depuis sa chambre. Les majors du disque n’ont donc plus de raison d’être sous leur forme actuelle. Leurs revenus ont d’ailleurs chuté de 50% par rapport à 2001, année qui marque un record pour leurs profits. Les labels indépendants en revanche, ont compris l’intérêt du partage de fichiers.

Quel modèle économique pour l’avenir alors ? Les services de streaming comme Spotify ?

Spotify est un excellent service, très populaire en Suède. Mon propre fils ne peut plus s’en passer. Le problème, c’est que la classe politique traditionnelle semble y voir la solution miracle, qui va éviter le besoin d’une réforme du droit d’auteur. Mais ça n’est pas aussi simple que ça, d’abord parce que Spotify est loin d’être disponible dans tous les pays [il ne fonctionne qu’en Scandinavie, en Finlande, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en France et en Espagne] à cause justement de problèmes de droits d’auteur. On est encore loin d’une licence pan-européenne. Et puis, les quatre majors de l’industrie du disque détiennent 80% de la création mondiale, ce qui signifie qu’en pratique, ce sont toujours elles qui contrôlent les choses : si elles se retirent du jeu, le catalogue de Spotify n’existe plus. On est donc toujours dans la même situation de monopole. Les majors reçoivent la plus grosse part du gâteau, les artistes une misère. Il a été calculé que pour qu’un artiste reçoivent l’équivalent du salaire minimum en droit d’auteur via Spotify, il faudrait que ses oeuvres soient diffusées 10 millions de fois...

Quelle est la réforme du droit d’auteur que vous proposez ?

Tout d’abord, il faudrait légaliser le partage de fichiers à usage non-commercial direct. Ce qui reviendrait à légaliser la créativité pour les artistes indépendants. Ensuite, réduire le délai de protection des oeuvres : aujourd’hui, les mélodies et paroles sont protégées jusqu’à 70 ans après la disparition de l’auteur. C’est totalement absurde. Ça signifie que toute la musique créée au 20ème siècle est encore protégée par le droit d’auteur. Les oeuvres enregistrées il y a 50 ans : les Beatles, Elvis Presley... font maintenant partie de notre héritage culturel collectif. John Lennon et Elvis Presley ont gagné suffisamment d’argent de leur vivant. Interdire aux nouveaux artistes d’utiliser librement leurs oeuvres fait du tort à tout le monde – sauf bien sûr aux majors qui détiennent les droits et continuent à gagner beaucoup d’argent sur des oeuvres déjà largement rentabilisées. Nous voulons donc réduire ce délai de protection dans des proportions compatibles avec les réalités commerciales d’aujourd’hui. Nous proposons 5 ans.

Ça peut sembler court...

Oui, mais dans la majorité des cas, les oeuvres qui ne sont pas rentabilisées au bout de ce délai ne le seront jamais. Un délai de cinq ans nous semble donc plus que raisonnable. Du point de vue de l’investisseur, le droit d’auteur permet de financer la culture pour en produire davantage. Un investisseur censé ne peut pas considérer un délai trop long comme un choix raisonnable. Les 70 ans actuels sont complètement absurdes d’un point de vue commercial. Qui aujourd’hui pourrait se permettre d’attendre 70 ans pour rentabiliser une oeuvre ? En pratique, une année serait même suffisante.

Certains « tubes » ont mis plus d’un an à trouver le succès, pourtant...

C’est vrai, c’est pourquoi nous proposons 5 ans de délai. Mais de toute façon, pour la plupart des artistes, les droits d’auteur n’ont jamais été la principale source de revenus. Pour Paul McCartney, Madonna ou ABBA, peut-être, oui. Mais pour le « commun des mortels » des artistes, les disques enregistrés assurent seulement la notoriété nécessaire pour remplir les salles de concert. Ce sont les revenus des concerts qui font aujourd’hui vivre la plupart des artistes. Un artiste gagne en moyenne 5% sur le prix d’un disque, mais 50% sur les revenus d’un concert. C’est comme ça depuis 50 ans. La seule chose qui change aujourd’hui, c’est que ces artistes peuvent maintenant assurer leur promotion sans l’aide d’une major. Les majors sont donc condamnées à disparaître, à moins qu’elles ne parviennent à se réinventer. C’est un principe économique fondamental : un intermédiaire qui ne fournit pas de valeur ajoutée n’a aucune raison d’être. Si les majors ne servent plus à assurer la promotion des artistes qu’elles étaient les seules en mesure de réaliser, elles doivent disparaître – et ça n’a rien à voir avec la réforme du copyright.

Internet est un outil démocratique, on le voit aussi à une tout autre échelle avec les révolutions arabes qui sont nées sur les réseaux sociaux, et puis l’arrivée de ce « medium pirate » qu’est WikiLeaks. J’imagine que vous voyez tout ça d’un bon oeil.

Cette possibilité que tout un chacun a maintenant de publier librement des informations est formidable. WikiLeaks est actuellement le meilleur exemple de ce que la technologie peut faire pour rendre le mondre plus transparent. Les pouvoirs publics de tous les pays ont tendance à avoir peur de ces nouvelles technologies, et à vouloir les restreindre. Alors qu’ils devraient au contraire se réjouir des possibilités offertes au citoyen de pouvoir s’exprimer. Après tout, c’est le fondement de la démocratie. Les révolutions arabes en sont un exemple frappant. Et les gouvernements occidentaux sont tous favorables à la démocratie en dehors de leurs pays, mais quand il s’agit de faire respecter les libertés fondamentales dans leurs propres pays, ils agissent de façon... disons... plus ambigue.

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Gunilla Carlsson © Scanpix

Justement, la ministre suédoise du développement international Gunilla Carlsson vient de débloquer 15 millions d’euros, qui seront alloués au développement des systèmes empêchant le blocage d’internet. C’est en réaction aux révolutions arabes, mais est-ce aussi d’une certaine façon le résultat de vos actions ?

Pas vraiment. comme je viens de le dire, c’est uniquement dû au fait que le gouvernement suédois (et les gouvernements occidentaux en général) vient de comprendre qu’internet pouvait avoir des effets bénéfiques pour la démocratie. Ce qui rend d’autant plus déprimant le fait que ces mêmes politiciens, qui applaudissent l’internet libre en Afrique du Nord, continuent dans leurs propres pays à vouloir surveiller internet.

Je prends l’exemple des câbles diplomatiques entre la Suède et les Etats-Unis révélés par WikiLeaks, en ce qui concerne la chasse aux partage de fichiers, et la loi FRA [loi suédoise qui autorise le gouvernement a contrôler toutes les communications électroniques – internet et téléphone - qui transitent par le territoire du pays.] Nous savons maintenant que ce sont les Etats-Unis qui ont poussé la Suède a introduire cette loi. Et le gouvernement suédois dit « Oui monsieur, bien monsieur ». Ça fait partie de la stratégie américaine depuis le milieu des années 90, de mettre la pression sur les pouvoirs publics de tous les pays du monde pour qu’ils adoptent des lois strictes sur la propriété intellectuelle. Parce que depuis cette période, les USA ne sont plus la première usine du monde, qui est maintenant la Chine. Alors, pour compenser cette perte de production et d’emplois et renflouer leur balance économique maintenant négative (puisqu’ils importent plus qu’ils n’exportent), ils tentent d’imposer un copyright sur certains biens ou techniques pour sauvegarder leurs intérêts financiers. Pour cela, il poussent tous les pays du monde à adopter des lois très strictes sur la propriété intellectuelle. Mais ça ne peut pas marcher. Je comprends que les américains tiennent à sauver leur économie, mais ils ne peuvent pas forcer le reste du monde à payer pour... pour rien, en fait. Ça marche pour l’instant, mais la Chine et l’Inde ne vont pas accepter ces mesures très longtemps, ça n’est pas dans leur intérêt.

Au Parti Pirate, nous pointions déjà ces dérives à l’introduction de la loi, sans pouvoir les prouver. Grâce à WikiLeaks, nous en avons maintenant la preuve. Les gouvernements qui n’agissent pas en toute transparence ont désormais du souci à se faire.

Mais pour revenir à la substance de cette loi, il est important de garder à l’esprit que le droit à la vie privée est un droit fondamental, inscrit dans la Constitution Européenne des Droits de l’Homme. Depuis l’invention de la Poste, le secret des correspondances est un acquis. Pareil avec le téléphone : les écoutes sont illégales – sauf bien sûr dans le cas d’une enquête policière, et encore, sur décision de justice. Pourquoi devrait-il en être autrement avec internet ? Aujourd’hui, les technocrates semblent considérer internet comme une sorte de jeu vidéo que l’on peut confisquer aux enfants s’ils n’ont pas été sages, ou un moyen de communication avec lequel il serait permis d’espionner les citoyens. Or internet est devenu le principal moyen de communication. C’est une partie de la société, qui doit à ce titre être régi par les mêmes lois. Car une fois que les mécanismes de surveillance sont mis en place, et que les autorités peuvent surveiller les communications sans avoir besoin de la moindre suspicion envers quiconque, il ne manque plus que the right wrong man en quelque sorte, pour créer une société anti-démocratique. Si un dictateur arrivait au pouvoir, il aurait dès le premier jour les moyens de surveiller les moindres faits et gestes de la population. C’est très dangereux.

Le Parti Pirate a-t-il obtenu jusqu’à présent des résultats concrets en Suède ou en Europe ?

Pas encore. Mais nous avons au moins réussi à mettre le sujet sur la table, et à provoquer un débat public. Un peu comme les écologistes avec le réchauffement climatique. Faire changer les choses prend du temps, et c’est frustrant. Mais nous savons aussi que rien ne peut stopper une idée dont le temps est venu. Notre mission est d’alerter les gouvernements en place qu’ils font les mauvais choix. La législation suédoise va dans le mauvais sens, qu’il s’agisse du droit d’auteur ou de la liberté d’internet. Les pouvoirs publics doivent comprendre qu’internet n’est pas quelque chose de dangeureux, mais au contraire une formidable opportunité d’accroitre la diversité culturelle, la créativité et la participation démocratique. Les choses sont déjà en train de changer, même si ça n’apparait pas encore dans la législation.

Propos recueillis à Stockholm le 11 mars 2011 par Benoît Derrier

P.-S.

Le Parti Pirate suédois a obtenu 7,2% des voix aux élections européennes de 2009 - ce qui lui donne un siège de député à Bruxelles - mais seulement 0,63% aux élections générales suédoises de 2010. Il ne siège donc pas au Parlement suédois.

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publié par le 22/03/11