accueil > articles > albums > Ladytron

publié par yves le 07/11/05
Ladytron
- Witching Hour
Witching Hour

Au fond, posons-nous la question. Qu’est-ce que la crédibilité artistique ? Une forme de pérennité ? La capacité à se renouveler, quitte à larguer en cours de route des paquets de fans sédentaires ? Ou bien, de manière plus cynique, parvenir à être suffisamment consensuel pour s’attirer les louanges d’une majeure partie de la presse ? Un peu de tout ça sans aucun doute.

Toutes ces questions métaphysiques devaient certainement être le cadet des soucis de Ladytron quand le groupe s’est formé en 1998 à Liverpool. Ou plus exactement dans un train Bulgare (ça fait tout de suite plus branché dans une bio), lorsque les DJs Daniel Hunt et Reuben Wu rencontrent leurs muses androïdes, Helen Marnie et Mira Aroyo. Les deux compères, plutôt malins, mettent alors au point une sorte de combo electroclash à succès, version « mode » et édulcorée de la régression Punk, puisant dans un imaginaire rétrofuturiste. La musique est minimaliste, sèche comme un coup de trique, le visuel, très « cyber 80’s », ringard juste ce qu’il faut pour lancer une mode : à coups de beats étriqués et de synthés balai-dans-le-cul, Ladytron se taille un joli succès avec leur premier album 604. La déroute survient sur le second, celui qui n’aurait evidemment jamais dû voir le jour ; Ladytron n’aurait pas dû prétendre à être autre chose que ce qu’elle était, une petite distraction à consommation rapide pour bobos décadents. Car si fortement ancrée dans une époque, la musique se ringardise, irrémédiablement datée. Avec le recul, on se dit que les deux DJs auraient certainement gagné à se reconvertir en producteurs de tubes à combustion rapide. Mais non, la sorte de canular semi-avoué qu’était le projet Ladytron a finalement raison de leurs prétentions.

Fin ? Pas vraiment. 3 ans passent, juste ce qu’il faut pour se faire oublier et remonter sur le ring avec l’envie d’en découdre. On craint alors la resuçée merdique, soubresaut malvenu d’un âge d’or poussiéreux vers lequel on s’autorise en cachette quelques réminiscences coupables. Mais... quel plaisir rare et vivace de s’apercevoir que ce retour, dont on n’attendait strictement rien, s’avère parfaitement génial.

Dans Ladytron, il y a Lady.

Jusqu’ici, les performances de Helen Marnie et Mira Aroyo se voulaient asexuées, artificielles, glaciales. Il aura fallu attendre ce nouvel album Witching Hour pour que fleurisse avec grâce la féminité des deux chanteuses : premièrement, en contemplant la pochette, d’un goût classieux, et deuxièmement, en écoutant leurs voix de velours, sorte de réponse croisée à un Broadcast tourné aujourd’hui vers un minimalisme noisy. Les vocalises des demoiselles ont gagné du corps et de la rondeur (White Light Generation, All The Way), se drapent d’une sensualité troublante (Soft Power) à des kilomètres de la raideur plastique sculptée par leurs deux Pygmalions.

Course-poursuite en Light-cycle.

Le son a lui aussi muté, pris du volume. Les organes bio de Ladytron, étouffés, atrophiés par l’absence d’activité se délient, brisent leur corset rigide de circuits électroniques : moment de grâce pendant lequel la Machine se découvre une âme. “High Rise” plonge le Ladytron d’antan, statique, dans un abîme vertigineux ; sur ce contre-la-montre, la guitare et la batterie se tirent la bourre en moto-lumière. Tout aussi supersonique, “Sugar” s’oriente vers un rock nerveux et brutal, compensé par des morceaux d’une souplesse de félin (“Last One Standing”, “All The Way”). Outre le retournage de veste réussi, c’est la constance, l’équilibre artistique de Witching Hour qui impressionne. Tous les morceaux se fendent d’une espèce d’aura lumineuse et glacée, froide mais définitivement plus humaine. Cet album, lui, n’aurait pas volé de s’appeller Light & Magic, car c’est exactement ce qu’il est : irradiant une lumière boréale, et d’un charme surnaturel.

Plus besoin de se cacher pour grignoter, la mine coupable, ce Witching Hour, comme on aura pu le faire sur les roboteries sucrées auquel le groupe nous a habitués. Ladytron a renoncé à la pose, et sa spontanéité a toute les allures du talent. A consommer sans modération.

Partager :

publié par le 07/11/05
Informations

Sortie : 2005
Label : Rykodisc

Pour le même artiste