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publié par Mickaël Adamadorassy le 06/06/17
Ghost in The Shell - Rupert Sanders
Rupert Sanders

Pour vous dire ce que j’ai pensé du Ghost In The Shell (GITS) de 2017, le remake américain du film d’animation de Mamoru Oshii, c’est un peu paradoxal pour une oeuvre d’anticipation mais je vais d’abord vous inviter à prendre avec moi la machine à remonter le temps jusqu’en 1995.

Anime culte

A l’époque, Internet on en entendait vaguement parler mais personne n’a de connexion à domicile, même pas le bon vieux modem 56k qui fait des bruits bizarres, les bandes-annonces on les découvre sur les CD-ROM des magazines informatiques. Et donc pour un ado qui baigne dans l’univers des mangas et dessins animés japonais, qui découvre le cyperbunk de William Gibson, et fait ses premières parties du jeu de rôle Shadowrun, impossible d’oublier la bande-annonce du GITS d’Oshii. Le camouflage thermo-optique, les valises qui s’ouvrent en pistolets-mitrailleurs, les êtres humains qui se connectent à la matrice (au sens original du terme où c’est grosso modo Internet, pas au sens de Matrix, le film). C’est comme si quelqu’un était allé prélever toutes les choses qui vous font tripper dans votre imaginaire et en avait fait un film.

Et ça ce n’était que la bande-annonce, le film en lui-même était bien la réalisation de tous ces fantasmes, le bonheur de voir sous ses yeux un univers cyperbunk prendre vie mais au final il était aussi profondément ancré dans la culture japonaise, dans sa musique sublime, dans les longues scènes contemplatives sous la pluie, dans le questionnement dans la dissolution de l’individualité dans la collectivité.

Et en même temps GITS était profondément moderne et sur le fil des questions philosophiques qui sont celles du monde qui vient, car là où le courant cyberpunk présente une humanité qui a embrassé sans complexe la cybernétisation, il parle déjà de transhumanisme, d’aliénation dans une société futuriste hyper-connectée, de ce que devient notre espèce face à l’avènement de l’IA.

Tout cela est raconté au travers d’une histoire à tiroirs assez compliquée à suivre mais la narration réussit à donner un rythme très particulier au film, une sorte d’action contemplative, où l’on a parfois l’impression d’asssister à la présentation d’une succession de dioramas à la construction exquise, remplis de symbolisme, destinés à toucher les sens plus qu’à faire sens, totalement à l’opposé de l’action totale moderne des films à la Jason Bourne. On sortait de la séance chamboulé, avec juste une envie c’est de replonger dans cet univers. ( C’est le moment de dire qu’il existe un anime de GITS en deux saisons appelé Standalone Complex qui est très très bien )

White Washing

Retour en 2016, Internet ou la matrice fait partie intégrante de notre monde, un monde où on vexe de tout (ou on s’enflamme pour des causes justes, selon le point de vue) à la vitesse de la lumière qui circule dans les fibres optiques qui nous connectent à peu près où que l’on soit.

Avant même sa sortie, Ghost In The Shell (GITS) s’est fait démolir sur les réseaux sociaux, à cause du choix de Scarlett Johansson comme actrice principale alors que l’oeuvre originale, le manga de Masamune Shirow se passe au Japon et dès lors il "parait" logique que les personnages soient joués par des japonais ou au moins des asiatiques.

Les Japonais eux n’ont pas l’air d’avoir spécialement pris la mouche, en fait ils sont assez pragmatiques sur le sujet : vendre un film comme Ghost In The Shell au grand public américain, en respectant sa substance et son rythme, ça n’est pas la même chose que programmer un anime japonais, l’adaptation initiale par Mamoru Oshii dans quelques salles pour un public de geeks. Les studios ont mis 100 millions sur la table, pour les faire passer à la caisse avec un sujet aussi risqué, il n’y avait pas 10 000 actrices possibles, peut être même pas dix et actuellement aucune d’entre elle n’est asiatique.

On vous laissera décider, où se situe la vérité à ce niveau, certainement qu’elle n’est pas une d’ailleurs... Enfin bref nous on est allé voir ce remake de GITS avec plein d’espoirs pour ce que ce soit une réussite.

bis repetita placent ?

Et ça commence plutôt bien en fait, Le film de Rupert Sanders est une réussite en terme de graphisme et de design, les images sont belles, constrastées, élégantes, les décors et le souci du détail rendent l’univers très crédible. Les cadrages voir le storyboard intégral de l’anime sont fidèlement repris, ils déchiraient déjà à l’époque, avec le digital et 100 millions de budget le visuel crève carrément l’écran.

Tout comme Scarlett, peu importe ce que disent les mauvaises langues, elle est plutôt bien dans son rôle. On a un peu de mal avec sa tenue ultra-moulante, c’est conforme à l’animé mais ce qui passe bien en dessin ne se transpose pas toujours bien en "live" et cette tenue elle est juste bizarre... ça fait un peu le même effet que ces photos avec des seins sur Facebook où l’auteur a flouté les tétons pour ne pas être sanctionné par la plate-forme.

Batou, l’acolyte du Major lui par contre rien que la tenue déjà on y croit pas et on regrette toujours que le rôle ne soit pas allé à Ron Pearlman (Hell Boy) qui lui aurait donné une toute autre carrure. Les autres personnages sont finalement très secondaires mais proches de ce qu’on imaginait sauf peut être Takeshi Kitano qui ne ressemble pas du tout au chef de la section 9 mais on est contents de le voir parce que c’est Takeshi Kitano...

On est aussi soulagés que les scènes contemplatives du film, que la lenteur volontaire aient été préservés, on aime moins la narration un peu plus évidente, un peu plus prémachée par rapport à l’original mais le message et l’intrigue sont quand même là.

Copie silicone

Et pourtant rien à faire mais ça ne marche pas, Rupert Sanders a beau avoir repris l’histoire et les personnages, il est fidèle à l’original parfois même jusqu’au copier-coller mais pourtant la magie est absente, on ne ressort pas du film mécontent, mais on est pas non plus bouleversé, il n’amène pas de questionnement, n’alimentera pas l’imagination. C’est juste un film de plus. Ce qui est cruel, c’est que ça répond quelque part à un des questionnements du film : est-ce qu’une copie de soi-même, éventuellement "améliorée" par la technologie de l’époque conserve ce qui faisait le moi, ce qu’il y a de transcendant en nous. A voir le GITS 2016, on a clairement envie de répondre non, de meilleures images, de plus gros budgets, un casting de blockbuster, ça ne suffit pas.

Revisiter le passé

Pourtant tout a l’air tellement fidèle à l’original, alors j’ai eu le doute. On sait que la mémoire déforme les choses, que le cerveau transforme nos expériences, que nous nous réinventons en permanence. Mais le Ghost In The Shell original est toujours disponible, chaque bit de données qui le constitue préservé à l’identique depuis sa numérisation. Et donc pour la deuxième fois dans cette chronique, je vous invite à un voyage dans le temps, non pas au travers du prisme de la mémoire mais en visionnant avec son moi de 2017, le GITS original, pour voir s’il est à la hauteur de notre souvenir et si finalement les faiblesses du remake ne sont pas celles de l’originale.

Et effectivement avec nos yeux de 2017 habitués aux créations de synthèse plus vraies que nature, aux images toujours plus rutilantes, l’aspect visuel du GITS 1995 a pris un sacré coup de vieux. D’une image à l’autre la qualité du dessin peut déraper ; le major a parfois une tronche bizarre ; Les décors peints ont l’air terne aussi. La narration qu’on trouvait trop limpide dans la version 2017 est a contrario inutilement complexe dans la version 1995. Et on pourrait continuer à énumérer les défauts, les moments où on pensait que la version 2017 faisait moins bien mais finalement l’original n’est pas vraiment mieux.

Mais le sentiment que l’animé a un peu plus de magie et de sens persiste. Difficile de justifier cette impression mais si on devait esquisser une théorie, ce serait celle-ci : Entre 1995 et 2017, la réalité a rattrapé le cyberpunk littéraire, l’a dépassé et "invalidé" sur certains points. Les thèmes de GITS comme l’IA et le transhumanisme restent totalement d’actualité mais a contrario des séries tirées du manga, l’équipe créative du remake s’est peut être condamnée en respectant l’oeuvre originale dans le moindre détail, en n’osant pas projeter les thématiques qui en faisaient la qualité dans un futur à inventer et dès lors l’oeuvre n’a plus la même gravité, la même valeur prophétique que son modèle.

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publié par le 06/06/17