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publié par Mélanie Fazi le 17/06/14
Cleo T.
- Songs of gold and shadow
Songs of gold and shadow

Un livre illustré : c’est la première image qui nous soit venue en découvrant cet album, dont le titre nous promet des chansons d’or et d’ombre qu’on imagine parées d’enluminures. Mais au fil des écoutes, c’est plutôt un théâtre que nous évoque le premier album de Cleo T. Parce qu’il y a un sens du mouvement, du décor et de la mise en scène. Une manière d’occuper le temps et l’espace, avec les chœurs pour figurants et les instruments pour acteurs.

Dès les premières notes de « I love me I love me not », Songs of gold and shadow promet une certaine noirceur. Guitare saturée, motif de piano sinueux et lancinant, et la voix caressante qui vient habiter le tout : quelque chose de sombre et d’inquiétant rôde sous la surface, avant une montée progressive de la tension. L’ambiance est théâtrale, disions-nous ; lyrique, mais sans l’emphase qui pourrait gâcher cet équilibre délicat.

Chœur de pirates

Chacune de ces treize chansons est un tableau distinct. « Trista Stella », petite mélodie de boîte à musique, convoque une ambiance aquatique et nostalgique, avec ces notes de piano qui pourraient figurer des vaguelettes. « Whistles in the night », avec ses violons grinçants et sa batterie subtile et nerveuse à la fois, s’aventure avec bonheur sur le territoire des premiers albums des Tindersticks ; il en a la richesse comme le souffle. « Columbine », tout en tension retenue et balancements subtils, semble cacher une douleur sourde, enfouie dans les replis des tentures. Sur « Song to the Moon », l’un des sommets de l’album, on pense à Brecht et Weill et à un autre chant adressé à la lune, celui des prostituées d’« Alabama Song ». La voix de Cleo y adopte une gouaille de fiancée du pirate à laquelle le chœur masculin répond en écho.

Fantômes et princesses

Ailleurs, on croise des trompettes élégiaques et des violons tziganes, de petites valses macabres, des fantômes, des princesses attendant leur prince et des vers de Robert Wyatt. On est régulièrement soufflé par la tension qui habite cet album, la maîtrise des montées en puissance, la belle densité sonore de l’ensemble (sublimée par la production de l’orfèvre John Parish). On découvre à chaque écoute de nouveaux détails tapis dans les recoins, qui semblent tisser un dialogue avec la voix. On est cueilli, tout simplement. Ces treize morceaux s’équilibrent et s’enchaînent à merveille, avec une cohérence qui évite constamment la redite. La noirceur ambiante n’est jamais plombante ; le groupe la transcende pour y puiser quelque chose de beau et de grisant. Sur « Whistles in the night », « Kingdom of smoke » ou « Dead and gone », le résultat vous prend aux tripes. Livre d’images, scène ou tableau, peu importe finalement : il faut surtout dire l’ivresse, l’émerveillement, de se laisser emporter par ces chansons. Songs of gold and shadow est un album où l’on accepte volontiers de se perdre, avec extase.

 

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publié par le 17/06/14