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publié par Sfar le 02/08/09
Che - Steven Soderbergh
Steven Soderbergh

Que reste-t’il du Che aujourd’hui ?

La photo d’Alberto Korda nous montrant cet homme au regard guerrier, béret étoilé de jaune sur le crâne ? Omniprésent, Ernesto Guevara est devenu aujourd’hui un produit marketing dont regorgent ces sociétés capitalistes qu’il a toujours combattues. Il y a encore quelques jours on pouvait croiser son effigie sur des tee-shirts de surfeurs landais. Il y a un mois son poster ornait la chambre d’un adolescent de treize ans. Quarante ans après sa mort, le Che est plus que jamais présent dans le quotidien de la jeune génération. Ce ne sont plus seulement des soixante-huitards attardés qui se revendiquent du révolutionnaire argentin mais aussi toute une population qui ne l’a pourtant pas connu mais voit en lui l’icône de l’insoumission et de la rupture. Mais quels sont ceux, parmi toutes ces âmes qui se parent d’un Ernesto en badge, en tee-shirt à capuche ou l’exposent en affiches sur leurs murs, qui savent quelles étaient les réelles convictions politiques et philosophiques qui ont motivé l’Argentin tout au long d’une vie faite de combats ?

Pas seulement Un mais deux films

Steven Soderbergh, réalisateur du Che explique son projet : « J’ai eu envie de consacrer un film (ou deux) au Che, non seulement parce que sa vie a des allures de roman d’aventures, mais parce que je suis fasciné par les défis techniques qu’entraîne la mise en application d’une vision politique de grande envergure. J’avais envie d’illustrer en détail les efforts psychiques et physiques que qu’entraîne la mise en application d’une vision politique de grande envergure. [...] » Soderbergh est un réalisateur productif avec un film par an, alternant œuvres indépendantes et grosses productions hollywoodiennes. Il a déjà touché à pas mal de genres cinématographiques avec plus ou moins de réussite. C’est tout naturellement qu’il récupère le projet de Terrence Malik et du comédien Benicio Del Toro sur le Che. Lors de sa projection au Festival de Cannes 2008 en sélection officielle, le film de Steven Soderbergh fut dévoilé dans une version « intégrale » de plus de quatre heures. Pour son exploitation en salles et dans ce coffret, Che est divisé en deux longs métrages distincts de 2h05 chacun : Che - 1ère partie : L’Argentin et Che - 2ème partie : Guerilla. Le coffret nous propose aussi deux livrets de 24 pages chacun nous présentant des photos du film, des témoignages du réalisateur, acteurs, producteur et rappelant de manière chronologique quelques faits historiques importants liés aux évènements relatés dans les deux films.

Che - 1ère partie : L’Argentin

Soderbergh a choisi de situer son film lors des moments clés de l’histoire du Che. Dans cette première partie il ne sera nullement question de la prise de conscience révolutionnaire du Che. On ne saura pas que son premier combat fut d’aider les pauvres à s’émanciper, lutter contre l’oppression et la tyrannie des riches. Que pour cela, il quitta sa famille et son pays natal, l’Argentine. Que c’est au Guatemala que sa quête prendra forme lorsqu’il rencontrera Hilda, réfugiée politique péruvienne, qui deviendra sa femme. C’est elle qui le mènera sur les traces d’exilés cubains, qui l’enrôleront. C’est là que débute le film de Soderbergh par la rencontre avec Fidel Castro. Le premier volet concerne donc la révolution cubaine dont le but fut de renverser le général Fulgencio Batista, dictateur corrompu qui avait pris le pouvoir lors d’un putsch. Un jeune avocat, Fidel Castro, passa deux ans en prison après avoir tenté de soulever les foules afin de reprendre le pouvoir. Amnistié en 1955, il s’exila à Mexico. C’est là qu’il rencontra discrètement Guevara et que furent décidées les actions cubaines qui deviendront la « guerre totale » au régime de Batista.

Ce qui frappe en tout premier lieu dans le film de Sodebergh concerne la crédibilité des acteurs : Benicio del toro est Ernesto Che Guevarra, on ne peut pas dire mieux. Tout comme Demián Bichir est un fidel castro plus que convaincant. Le récit de ce premier volet est ponctué d’images en noir et blanc de l’intervention du Che contre l’impérialisme yankee au siège de l’ONU à New York en 1964, et un entretien avec une journaliste américaine. Des flash-forward très instructifs apportant une explication de texte à pas mal de scènes de guérilla cubaine. On ne s’ennuie pas une seconde, Soderbergh épate par la sobriété de la réalisation, aucun artifice hollywoodien inutile ne vient gâcher ce qui ressemble plus à un énorme documentaire qu’un film à la gloire de. La réalisation ne s’essouffle pas et nous emporte même, nous, simples spectateurs comme des guérilleros compagnons du che.

Che - 2ème partie : Guerilla

La révolution cubaine passée et l’après révolution aussi, nous voici de nouveau en pleine guérilla mais cette fois en Bolivie. Ce second film est beaucoup plus dans la tension, l’attente, dans l’essoufflement tout comme l’est Guevara avec ses crises d’asthmes incessantes. On a le sentiment de s’embourber avec les personnages mais c’est sans doute là un effet nous permettant de partager le même enlisement que prend l’engagement révolutionnaire bolivien. Malgré ces quelques longueurs, ce second volet reste tout aussi grandiose que le premier. Les interprétations sont toujours aussi excellentes, les paysages magnifiques et l’on apprécie la belle sobriété de la réalisation. La révolution bolivienne ne prend pas. Les compagnons du Che vont de désillusions en désillusions face à un peuple qui ne comprend pas pourquoi des étrangers veulent combattre dans leurs villages. On souffre, on suffoque avec le Che. Jusqu’à la délivrance dramatique et inévitable.

Une vision réaliste ou idéaliste du Che ?

Voilà où se situerait le véritable gros reproche qu’on pourrait faire à Soderbergh. Le réalisateur semble pratiquer la mémoire sélective. Alors qu’on sait que l’après révolution cubaine a été sanglante : au sein du gouvernement révolutionnaire Le Che signa près de 400 condamnations à mort parmi les officiels du régime de Batista, se montrant alors inflexible même pour des cas litigieux. Nulle mention n’est faite de cet aspect-là du personnage dans le film de Soderbergh. Alors qu’est nettement mis en avant son profil de médecin sauveur et soigneur auprès de ses compagnons et des populations. Le réalisateur l’avoue lui-même : « « A La Havane, le Che devient un bureaucrate qui signe des arrêts de mort. Ce personnage-là ne m’intéresse pas ! ». La vision que nous présente Soderbergh semble quelque peu édulcorée. L’homme, au-delà du personnage, était sans doute bien plus complexe : entre l’idéaliste presque romantique et le tortionnaire sans humanité. Soderbergh ne nous laisse pas assez dans le doute, ne nous dévoilant pas toutes les clés qui nous permettraient de parfaire notre objectivité. En passant sous silence, les actions calamiteuses de Guevara ministre de l’industrie cubaine, ses interventions ratées au Congo et en ne montrant pas assez le fanatisme parfois irraisonné du Che pour arriver coûte que coûte à atteindre ses objectifs révolutionnaires, la vérité historique semble quelque peu biaisée. Plus précisément dans le second volet, Soderbergh n’insiste pas assez sur l’obstination du Che et son entêtement à poursuivre un combat perdu d’avance.

Quoiqu’il en soit ces deux films restent deux témoignages presque documentaires et très instructifs sur ce combattant aux idéaux révolutionnaires. Et même si le film s’achève sur la mort du Che, sourire aux lèvres, Soderbergh nous démontre que cette vie faite d’idéaux et de luttes armées ne fut pas vaine. Il nous offre là un portrait magistral et saisissant du bel argentin révolutionnaire.

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publié par le 02/08/09