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publié par Mélanie Fazi le 06/01/14
Catherine Viale - "Un retour d'expérience qu'on souhaitait partager"

Chroniqueuse et photographe passionnée pour la revue Abus Dangereux, Catherine Viale alias Cathimini est aussi quelqu’un avec qui nous avons partagé, au fil des ans, une foule de concerts et de discussions musicales, sans parler de quelques coulisses de sessions. Depuis quelque temps, nous l’entendions parler d’un intriguant projet pour lequel elle rassemblait les témoignages d’artistes d’horizons divers. Projet que nous sommes aujourd’hui ravis de voir aboutir sous la forme d’un beau livre illustré nommé It’s not only rock’n’roll (tout un programme), co-écrit avec Mathias Moreau, qui vient de paraître aux éditions Intervalles.

Le résultat, avouons-le, nous a surpris et même bluffés, tant par son ambition – interroger des musiciens sur la philosophie et autres thèmes sortant des sentiers battus – que par sa réalisation soignée ainsi que par la richesse et la variété des témoignages recueillis. L’ouvrage parlera autant aux passionnés des musiques que nous défendons ici qu’aux lecteurs intéressés par l’acte créateur et la façon dont l’art se vit au quotidien. C’est aussi, entre les lignes, une déclaration d’amour à la musique et à ceux qui la font. Curieux de découvrir la genèse et les coulisses du projet, nous avons interrogé Catherine Viale sur cette belle et longue aventure.

D’après l’avant-propos, ce livre est né d’une envie de donner aux artistes l’occasion de s’exprimer dans un format plus libre que celui des interviews…

Tout à fait. L’idée originale est de Mathias Moreau, qui est à la fois musicien sous le nom de Dallas Kincaid et activiste dans la région de Troyes pour organiser des concerts, écrire des choses, etc, et qui participe également à Abus Dangereux. Ça faisait un moment qu’il avait envie de montrer que les rockeurs ne sont pas que des crétins, comme on veut souvent le faire croire (ou comme eux-mêmes veulent le faire croire), et il a donc souhaité par le biais de la philosophie (puisque lui-même a fait des études de philosophie) aborder les artistes sur un autre sujet que les questions classiques des interviews classiques.

Il y a souvent en interview quelque chose d’un peu convenu dont vous avez voulu prendre le contrepied. À ton avis, est-ce que c’est lié à l’exercice en soi ou à une forme de paresse dans les questions de certains intervieweurs ?

C’est vrai que, quelle que soit l’envie de parler de l’artiste, si on a un intervieweur qui ne connaît pas son sujet et qui ne connaît pas l’artiste, il va rester au ras des pâquerettes et ça n’aura aucun intérêt, à part pour quelqu’un qui découvre totalement. Tandis que quand on a une bonne connaissance de l’œuvre de l’artiste, ou de sa vie, ou de choses qui permettent d’aller chercher à gauche et à droite, et que soi-même, en tant qu’intervieweur, on est curieux de certains éléments qui sont autre chose que le dernier micro et la dernière influence de Machin, évidemment, ça oriente énormément le résultat. De toute façon, une interview, c’est un dialogue, c’est une partition à deux. Si l’une des personnes n’est pas à la hauteur de l’autre, c’est bancal.

Je tiens à préciser quand même que ce ne sont pas que des interviews, ce sont des témoignages. Ce sont à la fois des entretiens en face à face ou par e-mail, ou des textes qui ont été entièrement écrits par les artistes à partir de 4-5 questions de base qui ont pas mal évolué entre l’idée qu’avait Mathias et celle que j’avais aussi – puisque au tout début, lui voulait voir quelles étaient les écoles philosophiques dont on pouvait se revendiquer en tant qu’artiste. En fonction de ce qu’on faisait, de son âge, etc. Et puis très vite, on s’est rendu compte que les écoles philosophiques sont quelque chose qui parle à peu de monde et qui est un peu scolaire. Et moi-même n’étant pas très versée en philosophie scolaire, ce que j’ai travaillé pour préparer ce bouquin, c’est revoir les pensées, les idées des différents penseurs dans différents pays à différentes époques, en ressortir des idées-forces et les proposer aux artistes pour voir si ça leur paraissait leur correspondre ou pas. C’est pour ça qu’on a évolué vers une philosophie de vie. Sa propre philosophie de vie, sa recherche, sa quête, et comment on la traduit dans le milieu artistique.

Ça se ressent à la lecture du livre. Deux axes se dégagent dans les réponses : celles qui tournent autour des courants philosophiques (Rodolphe Burger, Pamela Hute sur le stoïcisme, l’échange de mails entre Robert Fisher et son ami Eric Martin), et celles qui tournent plutôt autour du rapport personnel à la création.

C’est tout à fait ça. Il y a ceux qui ont fait des études eux-mêmes, on pourrait citer aussi Chris Eckman qui a fait des études de philosophie et qui parle des pragmatiques, Hugo Race qui parle beaucoup de philosophie d’un point de vue plus politique, la philosophie pour élever les peuples ou au contraire les abaisser, puisque tout dépend de la façon dont on l’utilise. Et après, d’autres personnes qui sont allées sur un biais totalement personnel. Et puis il y a aussi la relation à la religion, qui a pu faire parler des artistes selon d’autres critères encore, un peu complémentaires par rapport à ça.

Ce rapport à la religion ressort notamment dans les témoignages de plusieurs artistes américains.

C’est un peu le but aussi, par exemple si j’ai interviewé Josh T. Pearson et Micah P. Hinson, les deux Texans qui ont une œuvre assez empreinte de spiritualité, c’était justement pour voir avec eux comment ils s’en sortaient avec ces principes religieux sans verser dans la religiosité. Et ce qui a été pour moi une très belle découverte, c’est qu’en ayant sensiblement le même âge, le même background, chacun a une vision totalement opposée de la mystique de ce que ça peut apporter. Et ça, c’était extrêmement intéressant pour moi.

Avez-vous été surpris par des choses qui se sont dégagées de certaines réponses ou de la direction qu’a pris le livre ?

La direction qu’a pris le livre ne m’a pas surprise, c’est justement ce côté : on n’est pas tout blanc, on n’est pas tout noir, on ne nous met pas dans des cases et on a tous quelque chose à partager qui est très fortement lié à la transmission. Ça, c’est vraiment le fil conducteur qui s’est dégagé, le rôle de l’artiste dans le monde. Et je crois que c’est aussi quelque chose qui m’intéressait et j’ai peut-être un peu poussé dans ce sens.

Après, des surprises, il y en a eu plein. Par exemple le témoignage de Chris Wilson, qui parle de sa vie de petit garçon chantant dans les chorales, et qui arrive par différents cheminements au bouddhisme : c’est assez intéressant de voir que quelqu’un qui fait un rock’n’roll très très « basique », avec une énergie, a pu être imprégné toute sa vie de religiosité quelle qu’elle soit. Ce qui était étonnant, c’était aussi la poésie de certains des artistes, c’étaient vraiment des cadeaux de textes. Que ce soit Marianne Dissard, Howe Gelb, Petit Vodo, je considère qu’outre le fond de leur témoignage, la forme aussi a été très soignée, et ça m’a fait plaisir parce que ça montrait l’intérêt que les artistes avaient pour le sujet et pour le livre. Et même, d’autres m’ont dit que grâce à la réflexion que je leur avais imposée, derrière, il en était sorti des choses pour leur propre œuvre, et ça, j’avoue que j’en suis très fière.

Dans une interview sur France Musique, tu disais aussi que certains artistes ont refusé parce qu’ils craignaient que cette réflexion les emmène trop loin.

Exactement. Bon, il ne faut pas se voiler la face, on n’a pas réussi à avoir toutes les personnes qu’on aurait souhaité, pour différentes raisons, mais sur les quelques personnes qui ont eu la demande et qui ont dit non – très peu ont vraiment dit « Non, je ne veux pas le faire » –, il y en a un en particulier qui m’a dit : « Je ne veux pas me poser de questions par rapport à ma manière de créer, j’ai peur que ça me bloque par la suite. » Il en était presque désolé, mais il m’a dit : « Non, je veux garder cette spontanéité de ne pas trop savoir d’où ça vient et surtout ne pas trop réfléchir dessus. ». À la fois c’était une déception et à la fois je comprends parfaitement ce point de vue. D’autres, je pense, l’ont plus fait pour se cacher, pour rester cachés, parce qu’ils sentaient qu’ils pouvaient être amenés à parler de choses assez intimes. Pas du tout tel qu’on l’imagine aujourd’hui dans la peoplisation habituelle, mais des croyances et des choses qui touchent à l’essentiel. Et je pense qu’ils souhaitaient le garder pour eux, ou pour des gens avec qui ils pourraient avoir une discussion, mais pas pour des lecteurs.

Pour en revenir à la question des limites liées aux interviews, avez-vous eu l’impression que les artistes étaient contents qu’on leur offre cette occasion de s’exprimer différemment ?

Oui. Il y en a, en particulier… je ne te surprendrai pas en parlant par exemple de Theo Hakola, avec qui nous avons passé des heures : on a fait l’entretien, j’en ai tiré quelque chose et il a tout réécrit derrière. Ça montre bien que ça l’intéressait. Il m’a dit : « On me parle toujours de politique mais finalement la philosophie, on ne m’en parle jamais, donc oui, pourquoi pas, qu’est-ce qui se passe ? » Il y en a qui avaient bossé. Olivier Mellano, je ne le remercierai jamais assez, il avait travaillé, préparé des choses… Donc il y a plusieurs personnes qui ont été très intéressées par ce sujet parce que ça leur venait totalement au débotté. Et même si évidemment je ne pouvais pas les prendre de court et dire « Bon allez, maintenant on va parler d’art, de philosophie » sans qu’il y ait eu une petite préparation, tous ceux qui ont répondu en face-à-face m’ont dit que c’était une expérience pour eux. Ils ne savaient pas où ils allaient. Et finalement il semble qu’ils soient assez contents. Pour tous les francophones évidemment, puisque tous les textes ont été relus et approuvés par les artistes. Après, les anglophones, évidemment, c’est autre chose.

Pour toi qui as l’habitude de faire des interviews, est-ce que ça induit un rapport différent avec les artistes de leur demander ce genre d’exercice ?

En fait, c’est une histoire d’amitié. Je pense que grâce à cette démarche, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup plus d’artistes – que j’avais déjà rencontrés – qui finalement avaient confiance en moi que je ne le croyais. Je pensais avoir quelques amis et pour le reste, c’étaient des relations cordiales, mais sans plus. Et là, le fait pour certains d’accepter tout de suite, sans même se poser de questions sur ce que ça allait leur demander comme effort, ou sur le temps qu’ils y passeraient, parce que mine de rien on ne fait pas ce genre d’entretien en une demi-heure, il faut prendre du temps, caler des rendez-vous, ne pas avoir les gamins dans les pattes... Donc ça m’a fait un grand plaisir en me disant que finalement, pour beaucoup de ces artistes que j’avais ressentis à l’intuition comme ayant des choses à dire, et d’un, c’était vrai, et de deux, la relation humaine que nous avions pu tisser permettait en effet d’obtenir ça. Et d’obtenir des choses qui m’ont bien aidée, moi, en tant qu’auditrice de musique et de personne qui réagit à ce qu’ils font.

Comment avez-vous choisi à quels artistes soumettre ces questions ? D’après ce que leur musique évoquait pour vous, d’après ce que vous pressentiez de ce qu’ils auraient à dire, d’après les contacts que vous aviez déjà ?

Tout. Comme on était deux auteurs, le but était de ne pas inclure d’artistes que l’un aimait et que l’autre n’aimait pas. Ça, c’était une première chose. Deuxièmement, il y avait en effet une envie d’aller vers ceux dont on sentait par leurs textes, par leur musique, qu’ils avaient des choses à dire. Et d’aller aussi vers ceux qui font la musique la plus énergétique qui soit, vraiment du rock au sens rock’n’roll, on se bouge, on fait chalalala, et ce n’est pas parce qu’on est dans une apparence primaire, binaire, du rock qu’on n’a pas des choses à exprimer ou ce besoin d’exprimer quelque chose de très brut, que ce soit pour le blues, le rock, la musique bien électrique, que ça ne cache pas une personnalité derrière qui ait des réflexions bien arrêtées. C’est pour ça par exemple qu’on a Peter Zaremba des Fleshtones, Kim Kix des Powersolo, des gens qui font vraiment une musique qui parle plus aux hanches qu’à la tête. Et d’un autre côté on voulait des personnes dont le point commun est que tous font de la musique depuis pas mal d’années et savent pourquoi ils le font. Qu’ils soient connus, qu’ils ne soient pas connus, qu’ils aient eu des hauts, des bas, c’étaient des personnes dont on sentait qu’elles ne pourraient pas vivre sans musique. Et là-dessus, on avait raison à 100%.

Après, évidemment, il y a plein d’artistes qu’on aurait souhaité avoir parce qu’on imagine qu’ils ont des choses à dire : Nick Cave, Warren Ellis et compagnie… Bon, ont-ils seulement eu notre questionnement, je n’en suis même pas sûre, puisqu’il y a aussi la barrière des gens un peu connus, voire très connus, on est obligés de passer par des intermédiaires. Et quand on a des intermédiaires, parfois ça penche pour, parfois ça penche contre, ça nous aide ou ça ne nous aide pas… Autant je sais que certains n’ont pas voulu… Parce que les artistes étaient les meilleurs intermédiaires qu’on ait aussi, par exemple John Parish a demandé à PJ Harvey si elle voulait bien répondre et je sais qu’elle a dit non, en son âme et conscience. Par contre j’ai appris il n’y a pas très longtemps que Daniel Darc aurait bien voulu répondre, et qu’en fait c’est son entourage qui l’en a empêché. Donc voilà, on a les deux cas de figures de personnes qui ne sont pas là, qu’on aurait souhaité avoir, on est sûrs que ça aurait été intéressant, mais pour des raisons différentes ça ne s’est pas fait.

Le choix de certains artistes nous a surpris dans votre corpus, notamment quelqu’un comme Buffy Sainte-Marie.

Ça, c’est Mathias qui est très fan de toute cette vague folk politique, si on avait pu avoir Dylan il y aurait Dylan. Bon, on a son guitariste, c’est déjà pas mal… (rires) C’est lui qui a pensé à elle parce qu’elle venait à Paris. Et je connaissais son attaché de presse, qui lui a vraiment joué le jeu, je le remercie dans le livre, Yazid Manou, il a été vraiment super. Elle, en tant que prof de philo, en tant que penseuse, aujourd’hui pas si connue alors qu’elle a eu une carrière énorme, elle a été ravie de nous écrire dix pages sur ce qu’elle avait à dire là-dessus. Il y a des personnes assez âgées, comme elle, comme Sam Cutler aussi, le manager des Rolling Stones. Mais c’était le but, c’étaient ceux qui avaient vécu pas mal de choses et qui en avaient retiré ce qu’on espérait… Je ne sais pas, un retour d’expérience qu’on souhaitait partager.

Ça rejoint quelque chose qui m’a marquée dans le témoignage de Kent. Il illustre vraiment bien ce qu’on disait tout à l’heure, l’envie de sortir de ce cliché sur la jeunesse du rock. Ce qu’il dit, c’est qu’on commence avec une approche assez puérile, mais qu’on gagne ensuite en expérience et que c’est ça qui est nécessaire.

Kent, c’est moi qui voulais à tout prix le rencontrer. C’est quelqu’un que j’aime beaucoup par son franc-parler, par sa pluridisciplinarité : il fait de la musique, il écrit des livres intéressants, il fait de la BD intéressante, c’est un grand défenseur de l’environnement comme moi, donc forcément je sentais bien qu’on pouvait s’entendre. Et en effet, même si je ne suis pas fan de tout ce qu’il a fait au niveau musique, je suis fan de l’homme lui-même. Et cette rencontre n’a fait que rajouter à ça. C’est vraiment quelqu’un qui a pas mal d’autodérision et pas mal d’expériences aussi bien dans le rock, dans la chanson, dans le milieu français, en allant à l’extérieur, en étant indépendant, il revenait de Chine où il s’était produit avec un artiste dans des petits endroits… C’est quelqu’un qui a vécu beaucoup de choses différentes et qui, il le dit d’ailleurs, a failli raccrocher les gants. C’est un des entretiens qui ont duré des plombes et dont on n’a que la substantifique moelle, mais c’est une très belle rencontre. Parce que je ne l’avais jamais rencontré avant. Il fait partie des gens qui ont dit oui tout de suite. Alors qu’il ne m’avait jamais vue, qu’il ne me connaissait absolument pas.

Il y a aussi par exemple Dayna Kurtz, qui est une chanteuse de country, une forte personnalité, et qui dans son texte ramène aussi le quotidien. J’ai trouvé ça extrêmement culotté et intéressant, parce qu’ elle explique justement que l’art, c’est bien, philosopher, c’est bien, mais qu’on n’a pas toujours le temps de tout faire. Et j’ai trouvé son témoignage extrêmement utile et intéressant dans la diversité. C’était ça, aussi, avoir une certaine diversité des témoignages. Parce que si tout le monde avait raconté la même chose… On en aurait peut-être sorti une généralité par rapport au rock, mais ça aurait été moins intéressant que les divers angles qui ont été choisis par les uns et les autres. Il y a des angles comme celui de Kim Kix qui parle de la vie de tournée et de la façon dont il a évolué du « tout fou » de quand il était tout jeune jusqu’à quelque chose d’un peu plus calme, plus posé, plus sage, tout en étant sur scène à donner aux spectateurs. C’était ça aussi, ne pas être uniquement sur la création mais aussi sur la vie d’artiste (qu’est-ce que c’est de se produire devant un public, de vivre dans le business ou pas) et ne pas être juste sur l’écriture elle-même et la composition.

Beaucoup de témoignages tournent autour de ça, en parlant du quotidien ou des aspects plus terre-à-terre. Celui de Dominique A notamment.

Le camion ! Il aime le camion ! Si la chanson « Dans un camion » existe, c’est qu’il aime vraiment ça. (rires) Je le connaissais un peu donc ça ne m’a pas étonnée, mais je suis sûre que des personnes seront surprises en lisant son entretien, parce qu’il est quand même casé comme intellectuel, et il essaie justement de montrer qu’il n’y a pas que ça dans la vie d’artiste, et je trouve ça bien.

C’est cette sincérité aussi que je cherchais, et qui m’a été offerte par les artistes. Ils n’ont pas fait leur show, ils n’ont pas voulu faire les malins, du moins je le crois, et c’est ça qui fait l’intérêt de ce livre : on n’est pas en représentation, on n’est pas en promotion. On boucle avec ce qu’on disait au début : ces interviews ont été faites hors promo, entre deux disques, sans rien à vendre de leur part. Même pour certains à des moments où il ne s’était rien passé d’important avant, mais tous ont une actualité quand même, ils continuent à jouer, à écrire, à sortir des albums, il y a quelque chose à se mettre sous la dent aujourd’hui par rapport à eux. Ce n’est pas que du retour d’expérience d’autrefois. Aujourd’hui encore, ils continuent à bâtir ça.

Comment s’est fait le choix des éditions Intervalles ?

On a d’abord écrit la plupart de ces textes et on a maquetté quatre entretiens que l’on a envoyés à plusieurs éditeurs que l’on savait s’intéresser plus ou moins au rock. Vraiment plus ou moins : Allia évidemment, Le Mot et le Reste, Le Castor Astral, des gens qui avaient déjà sorti des livres, une vingtaine dont Intervalles qui avait sorti ceux de Theo Hakola. Je me suis dit « pourquoi pas », d’autant que le patron, Armand de Saint Sauveur, était l’un des meilleurs amis d’école d’un des artistes que j’ai interviewés. Sans que cette amitié vienne y faire quoi que ce soit puisque je ne lui ai pas envoyé le texte de son copain mais d’autres textes. Et il s’est révélé qu’il était fan de musique et connaissait beaucoup de ces artistes-là, qui sont quand même pour les trois quarts d’illustres inconnus.

Donc c’est vraiment sur la qualité de ces textes, et la curiosité de cet éditeur pour un projet qu’il n’avait jamais vu ailleurs, qu’on est partis. Il était d’accord. Et comme sa co-éditrice, Claire Besset, qui elle par contre n’y connaît rien en musique, était intéressée par le côté littéraire et le côté « pensées/fond », ils ont finalement dit oui. Pour eux aussi, c’est un projet à deux. Elle est en plus maquettiste. Je voulais un beau livre, un livre hors format – ça tombait bien, eux aussi, eux-mêmes ayant sorti des livres de photos que je trouvais très beaux. Du coup on a travaillé ensemble, on voulait des couleurs qui changent du rouge et du noir habituels liés au rock, alors voilà : bleu et orange, ça change. Évidemment on aurait aimé que ce soit un livre avec les photos couleur telles que je les avais prises mais ce n’était pas possible d’un point de vue financier, ça reste une petite maison d’édition. Ce que je voulais éviter, c’était que ce soit un livre de poche noir et blanc avec un papier tout pourri. J’avais envie que ce soit un beau livre dont je puisse être fière. À partir de là, on a attendu le temps qu’il fallait et on a pu faire ce beau partenariat avec Intervalles.

Les photos sont d’ailleurs amusantes à découvrir : une série de portraits des artistes tenant chacun un livre sur lequel vous avez rajouté le titre de l’ouvrage.

En effet. Le fil rouge, c’était le livre, et pour des raisons de droits d’auteur et autres, c’est Claire, la maquettiste, qui a refait la couverture à chaque fois pour donner un côté ludique et aussi pour éviter les soucis de droits d’auteur éventuels, puisque les trois quarts des photos sont prises par moi-même. Il y a quelques autoportraits, quelques photos de Mathias et deux trois autres personnes, mais c’est tout.

Elles ont toutes été prises pour l’occasion ?

Exactement. Les photos et les dessins d’Olivier Brut ont été faits uniquement pour le livre.

Combien de temps vous a-t-il fallu pour mener le projet à terme depuis la toute première idée ?

La première idée, je ne sais pas quand elle a germé dans la tête de Mathias, mais il m’en a fait part début 2009. Le temps que je prépare, que je comprenne bien, que ça phosphore, parce qu’il fallait se présenter, avoir quelque chose à présenter aux artistes, on n’arrivait pas juste en disant « Coucou, c’est nous ». N’ayant pas de livre, n’ayant pas un nom qui fasse que tout le monde se jette sur nous, il nous a fallu préparer tout un truc sur la philosophie. Moi-même, je me suis documentée dessus, il m’a fallu déjà six mois pour que le projet mûrisse. La première interview, je me rappelle très bien, c’était en octobre 2009 avec Cyril Bilbeaud. Je lui ai dit « Écoute, tu es mon cobaye », il a répondu « Pourquoi pas, allez », on est partis tous les deux sans trop savoir où on allait. Il m’a énormément aidée à affiner ma manière d’appréhender les choses, les termes à utiliser ou pas. La dernière interview, c’était en juin 2012 avec Ken Stringfellow. Après, il a fallu à peu près un an de travail sur la réécriture, le maquettage et de travail avec la maison d’édition. Donc trois ans de travail sur le projet lui-même et un an de post-production, pourrait-on dire si on était sur un film.

Maintenant que tu as donné quelques interviews sur le sujet, ça fait quel effet, pour une intervieweuse, de se retrouver de l’autre côté du micro ?

Je pense que justement l’habitude d’interviewer les autres me permet de faire attention à ce que je dis, c’est-à-dire de ne pas mener l’interview mais de répondre aux questions qu’on me pose. J’espère, du moins.

Est-ce que du coup tu réfléchis différemment au genre de questions que tu poses toi-même en interview ?

Non, je ne pense pas. L’exercice de l’interview, je l’ai toujours posé en deux parties. Une partie en fonction du lectorat que je vais avoir : est-ce que je présente un artiste qui n’est connu de personne ou est-ce que c’est la quatrième ou cinquième interview, auquel cas je m’adresse à un lectorat plus averti. Et l’autre partie, c’est moi qui ai envie de savoir certaines choses, que j’exploiterai ou pas après, je fais toujours attention à ça pour que justement ça reste lisible et que ce ne soit pas du domaine de la private joke. Je fais très attention à ça quand je fais des interviews d’artistes, que ça reste quelque chose de lisible derrière. Parce que, en effet, et le livre me l’a encore mieux fait comprendre, entre ce qu’on se dit à voix haute et ce qu’on lit, il y a tout un travail nécessaire de réassemblage et de réécriture, qui a été poussé ici à son paroxysme, évidemment, mais que j’ai toujours fait de manière innée. Je fais très attention à perpétuer la qualité de la retranscription derrière, pour que la personne qui le lit ne s’ennuie pas.

Il y a déjà eu quelques signatures, est-ce que d’autres événements sont prévus autour du livre ?

À ce jour, il y a eu deux signatures. L’une mi-décembre pour une exposition d’encres rock’n’roll d’Olivier Brut au café Le Fanfaron. La deuxième juste avant Noël à la librairie/galerie La Mauvaise Réputation de Bordeaux qui cultive un genre décalé. Petit Vodo m’avait invitée pour un petit spectacle qui mélange blues et effeuillage burlesque sous le nom de « Petit Vodo Crispy Show » et on en a profité pour faire quelque chose avant. J’ai d’ailleurs fait une lecture de son texte à l’entracte ; c’était ma première lecture.

Après, il y aura des choses qui se feront certainement, à la galerie qu’Intervalles va ouvrir en janvier ou chez Parallèles au printemps. Je sais qu’il y a des possibilités de conférences ou de rencontres dans les médiathèques, donc ça se fera au gré de l’agenda 2014. Pour l’instant c’est la trêve des confiseurs, donc ça s’est un peu calmé. Mais j’ai évidemment envie de défendre ce livre et les artistes qui y ont participé, donc j’espère qu’il y aura aussi des showcases, des expos et pourquoi pas d’autres lectures. D’ailleurs avec Petit Vodo c’était l’intention : être avec lui qui jouait de la musique et moi qui lisais… À voir. Toute personne qui serait intéressée par une rencontre ou une performance, n’hésitez pas ! Je suis disponible sur Paris et je me déplace en Province suffisamment souvent pour mon boulot pour que quelque chose soit envisageable ailleurs. Évidemment, Mathias Moreau étant à Troyes, c’est plus compliqué, mais je pense que chez lui aussi des choses peuvent se faire.

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publié par le 06/01/14