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publié par Mélanie Fazi le 18/09/17
Ça - Andy Muschietti
Andy Muschietti

Sans doute la façon dont chacun recevra cette nouvelle adaptation de Ça dépendra-t-elle du rapport entretenu – ou non – avec le roman d’origine. C’est l’un des livres emblématiques de Stephen King et l’un de ceux qui peuvent vous marquer durablement pour peu que vous le lisiez au bon âge, au bon moment. Il y a presque quelque chose de générationnel dans l’impact que Ça a pu avoir sur ceux qui l’ont lu, comme moi, adolescents dans les années 90. Soit pratiquement au même âge que ses protagonistes, les sept gamins qui, un été, affrontent la créature protéiforme qui terrorise la ville de Derry et prend l’aspect d’un clown ou de la pire terreur de chacun. Un roman effrayant, mais aussi un roman touchant, imprégné de nostalgie, sans doute ancré dans les propres souvenirs de l’auteur. Un roman qui touche du doigt une certaine magie propre à l’adolescence (toute grande fan que je sois demeurée de l’auteur et de son écriture, je me suis trouvée incapable de relire ce roman-là une fois adulte).

S’il y a une qualité que tout le monde s’accordera à trouver au film d’Andy Muschietti, c’est le soin apporté au développement des personnages. Si Stephen King a été souvent adapté au cinéma, avec plus ou moins de bonheur (souvent moins que plus, d’ailleurs), les adaptations les plus fidèles à l’esprit étaient souvent celles de ses œuvres les moins horrifiques et les plus psychologiques (la plus belle de celles-là étant sans doute le Stand by me de Rob Reiner adapté de la nouvelle « Le corps »). Mais trop souvent, les réalisateurs ont sacrifié les personnages en faveur des effets spéciaux en passant, par là même, à côté de ce qui fait la richesse de ses romans ; le cliché rebattu sur le « maître de l’horreur » fait souvent oublier quel écrivain de premier plan il est par ailleurs, et quelle finesse d’observation de la nature humaine est la sienne.

Les losers d’autrefois

C’est avec un certain soulagement qu’on accueille ce nouveau Ça dès les premières scènes : les personnages sont là, ils sont bien là, les sept « losers » de notre adolescence. Dans la première partie, les scènes fantastiques se font d’ailleurs plutôt rares en comparaison du temps consacré à poser les personnages, à orchestrer leur rencontre, à voir se développer leurs liens d’amitié. Sans doute le meilleur du film est-il là. On a presque l’impression de remonter dans le temps pour effacer une erreur : revenir à l’époque où les classiques de King étaient tous adaptés un par un, mais en rétablissant cette fois la dimension psychologique trop souvent négligée à l’époque. Rien que pour cette raison, et parce qu’elle éclipse sans mal la calamiteuse adaptation en téléfilm des années 90, cette nouvelle version de Ça mérite d’exister.

Le casting a été particulièrement soigné, quoique deux des enfants (Eddie et Mike) paraissent manquer de substance en comparaison des autres. Finn Wolfhard, à peine échappé de Stranger Things, crève l’écran dans le rôle du boute-en-train Richie Tozier auquel il prête une gouaille jubilatoire, et Sophia Lillis, qui incarne Beverly, la seule fille du groupe, tyrannisée par un père incestueux, est une jolie révélation. Avec le recul, la pique que lance Richie à Beverly en la comparant à Molly Ringwald prend tout son sens : il y a chez Sophia Lillis une forme de maturité qui rappelle précisément l’actrice de Breakfast Club au même âge. Si la plupart des rôles secondaires ont été réduits pour se concentrer sur les sept héros, Nicholas Hamilton impose une présence étonnante dans le rôle de Henry Bowers, la petite brute qui reporte sur d’autres la violence que lui fait subir son propre père, quoiqu’il n’apparaisse que dans une poignée de scènes.

Un clown dans les égouts

Il est curieusement plus difficile de juger la performance de Bill Skarsgård dans le rôle du clown Pennywise (Grippe-Sou en français). L’acteur s’efface derrière le masque et ses apparitions sont souvent furtives ; dans toute la première moitié, il est moins un personnage qu’une ombre au visage sans cesse changeant, effrayant pour cette raison même. Dans la célèbre première scène où le petit Georgie, courant après son bateau en papier, tombe nez à nez avec le clown tapi dans les égouts, son Pennywise est doucereux et inquiétant à souhait. Si le film conserve le côté parfois décousu du roman dans la succession des scènes fantastiques, l’ambiance de cauchemar éveillée est particulièrement bien rendue – notamment dans cette autre scène marquante où la salle de bains de Beverly se retrouve entièrement tapissée de sang.

Adapter en deux fois deux heures un roman aussi foisonnant est un sacré casse-tête ; il a nécessairement fallu faire des choix, sabrer certains aspects du roman, et s’en éloigner parfois radicalement (dans le choix, par exemple, de laisser planer un doute sur le sort des enfants disparus qui, dans le livre, avaient été retrouvés morts). Le travail d’adaptation nous a en tout cas semblé intelligent et respectueux, quoique le rythme soit parfois un peu précipité et la couleur épique du roman quelque peu diluée. La ville maudite de Derry, personnage à part entière du livre, perd elle aussi un peu de sa dimension. Le parti pris consistant à déplacer l’intrigue dans les années 80 au lieu des années 60 fonctionne en revanche plutôt bien. Il faudra attendre le deuxième film pour juger de l’autre choix d’adaptation qui a fait débat, celui de dissocier les deux fils d’intrigue là où le roman les entremêlait étroitement : dans ce premier film, on rencontre les sept personnages adolescents ; dans le deuxième, on les retrouvera adultes, le côté cyclique de l’histoire étant un aspect capital de l’intrigue originale.

Souvenir d’un haiku

Si le recul fait émerger une impression de relative précipitation dans la deuxième moitié du film par rapport au rythme plus lent du roman, c’est l’émotion qui prédomine sur le moment. Celle de retrouver des personnages qu’il nous semble connaître comme des amis d’adolescence, mais aussi des détails qui nous avaient touchés : ce haiku que Ben, le gamin obèse et timide, écrit pour Beverly dont il est amoureux, ou encore le nom « Silver » gravé sur le vélo de Bill. Ce sont ces détails-là qui nous ont fait aimer le film, malgré ses imperfections jamais vraiment gênantes. Ce n’est pas tout à fait le Ça de Stephen King dans toute son ampleur, dans toute sa dimension cauchemardesque, dans toute son émotion, mais ça s’en rapproche déjà énormément. Beaucoup de ses romans n’ont pas eu cette chance ; savourons-la pour ce qu’elle est.

On attend maintenant avec une grande curiosité de découvrir dans le deuxième film le visage adulte des sept héros qu’on vient de quitter enfants. La deuxième partie, moins riche a priori en scènes marquantes, risque d’être plus délicate à réussir, mais c’est en toute confiance qu’on ira la découvrir.

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publié par le 18/09/17