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publié par Fabrice Privé, Renaud de Foville le 02/07/15
Tinals, en faisant court

Idéalement situé, de manière géographique et calendaire, sur la route de Primavera, le festival nîmois This is not a Love Song (Tinals en faisant court) affichait une nouvelle fois, pour sa troisième édition, une belle porosité de line-up avec le mastodonte ibérique. De quoi garantir une programmation résolument indépendante, totalement imparable.

Tinals, en faisant court — This is not a Love Song Festival, 2015 — Paloma, Nîmes

Le cadre, lui, peut laisser un peu perplexe : si on googlemap le lieu du festival, Paloma, rutilant complexe dédié aux musiques actuelles, on se retrouve au cœur d’une zone d’activité périphérique et très générique. Le lieu est calé entre un Speedy, un aérodrome et un Intermarché. Pas de camping à l’horizon mais un Formule Un. La promesse de prendre un petit déj au MacDo est à peine plus engageante...

Grosse levée de doutes, voire ivresse des sens, dès qu’on pose un pied sur le site : ici aussi il y a de l’herbe, du sable même, des tentes proposant diverses activités (customisation de sneakers, couronnes de fleurs...), des foodtrucks vintage aux vertus également décoratives parqués à l’ombre de fleurs géantes bientôt illuminées, des coussins d’extérieur pour chiller devant une rivière de rochers et de fake plastic flamands roses, des balançoires, des bars qui débitent de la vraie bière et, à l’autre bout de la chaîne digestive, des toilettes sèches... Les personnes, l’organisation et l’ambiance sont au diapason : tranquilles, détendues et accueillantes. A Tinals, le festivalier se sent soigné, choyé même. Ce n’est pas une chanson d’amour mais une véritable déclaration qui lui est adressée. Tant de beauté et de convivialité frôle l’indécence...

On continue la découverte des lieux : deux scènes extérieures (dont la petite totalement sous-exploitée en soirée) et deux salles intérieures (dont la petite parfois difficilement exploitable en capacité). Entre les deux, s’intercale un agréable patio où recharger ses batteries ou ses gobelets, avec en toile de fond une retransmission des concerts du club pour qui n’a pas réussi à y pénétrer. De cette programmation hyper ventilée découle une contrariété - il en faut bien une : certains chevauchements horaires vont être durs à arbitrer, le festivalier sera obligé de faire des impasses, parfois criminelles, voire, pire, de zapper sur les différentes scènes. Un seul festival mais sûrement des expériences musicales totalement différentes selon les gens. La nôtre se fera, par exemple, sans Swans (une fois lancé ce train vrombissant, impossible de le prendre en marche), sans les délicieux archivistes de Public Service Broadcasting, sans l’acidité fondamentale de Paranoid London ou la rugosité arty de Viet Cong... Stop à la flagellation, on a déjà eu largement de quoi faire lors de ces trois jours. Pour le premier soir, on laisse tranquillement l’atmosphère infuser devant les hugs Saint Maclou distribués dans la foule par Damian Abraham de Fucked Up et l’électronique ludo-participative de l’ahuri Dan Deacon.

C’est avec un enchaînement improbable que l’on entre dans le cœur du sujet : Shamir - Thurston Moore. Le premier décoche ses petites bombinettes electro-soul avec une fresheur proportionnelle à la solidité de son batteur. Le second nous assure, en cinq morceaux, de sa jeunesse sonique éternelle. Entouré de l’acolyte Steve Shelley et de la bassiste de MBV Debbie Googe, il retend bien comme il faut ses arcs électriques entre expérimentation et rock nonchalant.

Versant électronique, Caribou maintient correctement la pression, et, juste au moment où la machine commence à ronronner, l’enchaînement "Odessa", "Can’t Do Without You" puis "Sun" nous rappelle à la réalité cruciale de son œuvre, où rêveries et tubes s’imbriquent parfaitement. Pour achever, littéralement, sa soirée, on choisit le bourreau John Dwyer qui, guitare à l’épaule, mitraille sans relâche l’assistance de rafales fuzz et de glapissements avec le soutien aérien de ses deux batteurs au jeu parfaitement jumeau. Thee Oh Sees en live c’est peut-être toujours un peu la même chose, mais ça oscille systématiquement entre le très bon et l’excellent.

C’est devant Twerps et sous un plein soleil que débute notre deuxième soirée : les australiens posent des ponts entre une pop 60’s et sa chahuteuse descendance lo-fi des 90’s. La chimie entre musique et météorologie est juste parfaite. Devant Giant Sand, on s’en veut un peu de trouver Howe Gelb vieilli (normal...) et de ne pas lui laisser la chance d’installer sur la durée ses ambiances arizoniennes. D’autant plus que, de l’avis de ceux qui sont restés, elles deviennent particulièrement musquées, et même corsées, en fin de set.

Cette culpabilité devient insupportable à mesure que l’on essaie d’entrer dans le concert d’Ariel Pink : si vous trouvez son pot complètement pourri sur disque, n’essayez même pas son passage à la scène, si ce mec force votre admiration pour sa capacité à ingurgiter et à malaxer aussi goulûment autant d’influences, n’essayez pas non plus. En tout cas, pas ce soir. Le son est ignoble, trop de bordel tue le bordel, le rose criard devient trou noir. Les excellents Wand vont nous remettre dans le sens de la marche. Avec un rock stoner, dégraissé, très sec, flirtant avec la pop (psychédélique forcément) ou le (post-)punk, comme en atteste une reprise particulièrement bien décochée du "Shot by Both Sides" de Magazine. Le concert est un modèle de tension, lâchée, puis retenue lors de passages plus extatiques où les attitudes hallucinées des californiens achèvent d’emporter une franche adhésion. Et d’enchaîner, dans une embardée toute Tinalsienne, avec The Divine Comedy... Neil Hannon aussi a vieilli, avec un belle barbe dont le port lui a laissé quelques hésitations et un petit "beer belly" dont il se plaint. Sa formation (particulièrement un accordéon envahissant) ne laisse que peu de doutes sur ses intentions du moment : offrir une visite de courtoisie à son riche répertoire. Dilettante mais pas délitant, le bonhomme continue de dégager une classe folle et suinte le cabotinage délicieux : il mime de martyriser sa pédale d’effets, se plante d’accord, anticipe sur sa setlist ou se félicite de la réussite d’un solo, tout en sirotant un bon cru. Quand vient le temps du conclusif "Tonight We Fly", on est retombé sous le charme de l’irlandais. Un moment de flottement plus tard, c’est en compagnie de The Juan MacLean et de sa vocaliste Nancy Whang que l’on décide de finir la nuit, sur des notes electro-disco pro-pulsées par des séquences moroderiennes ou des lignes de TB 303. DFA toujours là.

Le dernier soir commence par un tabassage en règle. En deux temps. D’abord sous la pluie des uppercuts verbaux des Sleaford Mods, avec un Jason Williamson en grande forme salivaire et son comparse Andrew Fearn qui est passé maître dans le maniement de la touche Play et de la canette de bière. Évidemment, la formule est minimaliste (un laptop, un micro), la barrière de la langue est conséquente, mais la conviction que mettent les anglais dans leurs assauts répétés est impressionnante : beats secs, basses post-punk, bile sociale se déversent sur nos tympans consentants. Avant de finir dans les cordes, on esquive les coups quelques minutes pour aller se faire rosser par le metal sudiste et plantureux de Weedeater. Gros coup de cœur pour le batteur Travis Owen qui projette de l’eau (l’arrosage c’est important) depuis ses toms et pousse à l’extrême la désolidarisation des membres nécessaire à son art. Retour à l’air libre pour soigner ses plaies avec la sophistication de Unknown Mortal Orchestra, parfois un peu complaisante en solos diverses et lorgnant vers un soft rock d’un autre age, mais depuis peu irriguée d’une sensibilité soul finalement bien agréable.

D’âme, il en est aussi question avec The Soft Moon, mais celle de Luis - I was born to suffer - Vasquez est totalement torturée. Et il continue à la supplicier via cette cold-wave syncopée et décharnée, aux couleurs résolument mattes : entre le noir Sisters of Mercy, le gris Joy Division et le rouge The Cure, période "Pornography". Avec des nuances tour à tour synth pop, indus, voire EBM... Pour peu qu’on soit sensible au postulat de départ, on se laisse avaler, digérer et recracher une heure plus tard. Si seulement ce tunnel vrillant avait directement pu déboucher sur la prestation d’Interpol. Non, avant cela il va falloir s’infliger le "concert" de Foxygen, grand cirque rock’n’roll totalement décousu et surjoué (non sans énergie), qui étire en longueur une imitation Thin White Duke/Mick Jagger mêlée à une séance d’aérobic, un atelier coiffure ou une partie de poker "improvisée" sur scène. Le meilleur morceau du pourtant surdoué binôme Sam France/Jonathan Rado sera ce soir "San Francisco", joué par la sono pendant un intermède en milieu de set. Puisque Drenge n’y parvient pas vraiment, c’est auprès des sympathiques canadiens de Teenanger que l’on va se faire nettoyer les oreilles avec une énergie punk parfaitement détergente et salutaire.

Interpol, donc. On sait déjà depuis longtemps que Paul Banks et sa bande ne nous procureront plus les mêmes grands frissons que lors de leurs premières dates françaises en 2001. Mais, avec une discographie qui est globalement allée decrescendo (le dernier album est un petit sursaut), on est finalement rassuré de voir les new-yorkais encore capables d’offrir des prestations aussi solides. L’effet "madeleine de Proust" a sans doute compensé un aspect un peu réglementaire, mais le résultat est là : notre attention a été joliment captée sur toute la longueur du concert. Un dernier petit tour par le classicisme pop west-coast des Allah-Las ne sera pas de trop pour amortir la descente : Tinals 2015, c’est bel et bien fini pour nous.

Au moment de remballer ses bons souvenirs, on n’oubliera pas d’évoquer Boogers, l’homme-orchestre-émetteur-FM qui a régulièrement inondé les travées du festival avec ses ritournelles lo-fi et ses reprises fédératrices. Relayé par une sono humaine et sa caravane de ghetto blasters, il aura bien sonné partout, même dans les toilettes. Encore une bonne idée à mettre à l’actif du festival. Décidément, avec une identité déjà bien affirmée et via une multitude de petits détails sympas, This is not a Love Song aura placé le festivalier dans des conditions idéales pour s’extraire pendant trois jours, zipper sa bulle et se focaliser sur de la musique à partager. A l’heure où le paysage festivalier français ressemble au mieux à un grand parking, au pire à un terrain en jachère, Tinals a déjà fait son trou, a bien planté ses graines et soigne leur croissance. On reviendra pour une prochaine récolte.

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publié par le 02/07/15
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Britney - le 14/07/15 à 16:33
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