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publié par Mélanie Fazi le 28/03/14
Arlt + Thomas Bonvalet
- Arlt & Thomas Bonvalet
Arlt & Thomas Bonvalet

Il y a tout juste un an, nous vous faisions part de notre perplexité réjouie à la découverte tardive d’Arlt et de leur inusable deuxième album Feu la figure. Alors que nous commencions à nous y sentir vraiment chez nous, à force d’écoutes répétées et de concerts habités, voilà que nous nous laissons de nouveau surprendre par cette collaboration qui défie toute description, encore davantage que ne le faisaient les deux albums précédents – ce qui devrait d’emblée vous renseigner sur la singularité du résultat.

Points de suspension inclus

Pour cet album qui se présente comme une sorte de best-of déglingué (quasiment toutes leurs chansons les plus marquantes y sont reprises), Sing Sing et Eloïse Decazes, dont on connaît le goût pour le chaos créatif et les musiques intranquilles, se sont adjoint les services de Thomas Bonvalet (L’Ocelle Mare, Powerdove), qui habille leurs chansons de tout un attirail ainsi décrit sur la pochette : « concertina, harmonica, guitalélé percuté, microphones, amplificateurs, frappements de pieds et de mains, peau de tambour, orgue à bouche, piano, banjo six cordes, plaques d’harmonica, componium, diapasons… » (les points de suspension sont inclus au programme). À travers ces arrangements dont on ne connaît jamais vraiment la part d’improvisation, il réintroduit dans ces chansons une étrangeté qu’on avait cessé d’y entendre. Plus qu’un simple accompagnateur, il se pose comme une troisième voix étrangère qui tourne autour des chansons en léger décalage ou s’y insinue discrètement pour les transformer de l’intérieur. Les voix de Sing Sing et d’Eloïse Decazes, qui ne se sont jamais aussi bien accordées, semblent s’étreindre au cœur de la tempête tandis que les instruments dissonent en arrière-plan.

Les deux titres inédits sont sans doute les plus faciles à aborder en découvrant l’album, car il n’est pas nécessaire de les désapprendre pour les réentendre : ils ont naturellement poussé avec cette troisième voix. « Grande fille » à la mélodie sublime se conclut par des percussions quasi tribales, créant une tension qui accompagne et contredit à la fois la sérénité de surface. « Le ciel de Lille » frappe par son texte où l’on retrouve les fulgurances d’une écriture où la poésie côtoie constamment l’improbable : qui d’autre que Sing Sing pourrait écrire une phrase aussi parfaite que « Tes yeux se troublent/C’est de l’eau de vaisselle/On croirait bien y voir le ciel/De Lille » ?

Entendre les fantômes

Ailleurs, on découvre dans certaines chansons familières une dimension qu’on ne leur connaissait pas. La relecture de « Je voudrais être mariée » en fait ressortir le côté « chant sacré hérissé » ; c’est sans doute l’un des morceaux où la « voix d’eau » d’Eloïse Decazes trouve sa pleine mesure, ici plus encore que sur La Langue. Dans « L’eau froide », l’un des titres les plus saisissants, Thomas Bonvalet réussit à nous faire entendre ces « fantômes dans l’eau froide de ton bain » tandis que guitares et voix suggèrent une fuite en avant, conclue par une dernière note qui continue à résonner dans le vide. On retrouve des éléments familiers, les vocalises aériennes de « Château d’eau », les ruptures de ton de « Lettre morte », mais parfois complètement transformés par la proximité de ces bruitages qu’on croirait sortis d’un coffre à jouets : ces bourdonnements d’abeille et ces stridences, ces claquements, grincements et tremblements divers.

L’ensemble déroute les sens comme le ferait une chanson folk jouée sur une guitare légèrement désaccordée. On a constamment l’impression d’osciller entre des extrêmes : l’harmonie et la dissonance, la tension et l’apaisement, l’iconoclaste et le sacré. Au fil des écoutes, on comprend de mieux en mieux le choix du dessin de Benjamin Rabier qui orne la pochette, dont on ne sait pas très bien, hors contexte, s’il faut le trouver ludique ou inquiétant : mais quoi de mieux qu’une joyeuse (ou pas si joyeuse) explosion pour suggérer cet indescriptible et fascinant bric-à-brac ? Ici, pourrait-on dire, et comme souvent chez Arlt, rien n’est sérieux mais tout est beau. On s’étonne du calme qui nous envahit au terme de ce voyage houleux, au son d’un dernier morceau dont le titre sonne comme une conclusion parfaite : « Après quoi nous avons ri ».

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publié par le 28/03/14