accueil > articles > interviews > Ane Brun

publié par benoît le 20/11/08
Ane Brun - C'est un peu comme un puzzle

Auteur-compositeur-interprète des plus douées et patronne de son propre label, la norvégienne Ane Brun est encore relativement peu connue en France malgré un succès respectable dans plusieurs pays européens, et bien sûr en Scandinavie (disque d’or en Norvège en 2005 et 2008). Sa country-folk délicate se déployait cette année sur le magistral Changing of the seasons, troisième véritable album studio, arrangé par le producteur islandais Valgeir Sigurðsson, ancien complice de Björk. De retour d’une tournée nord-américaine pour promouvoir en solo la sortie de Sketches (qui regroupe les versions démo de Changing of the seasons), elle repassait par Paris le 17 novembre 2008 pour se produire dans l’intimité du Sunset, simplement accompagnée de sa compatriote Rebekka Karijord. C’est là que je la retrouve, au moment où elle termine sa balance.

> switch to english

Je viens de t’entendre répéter une chanson en français ; tu nous prépares une surprise pour ce soir ?

En fait, nous avons joué hier soir [dimanche 16 novembre] au cinéma Le Panthéon, dans le cadre du festival Ciné Nordica. Moi, Rebekka et notre ami Matti Bye, qui est pianiste et compose des musiques pour films muets. Il a écrit cette chanson en français, nous l’avons jouée hier soir et avons pensé que nous pourrions la rejouer ce soir. Ca sera notre petit cadeau au public français !

Tu nous avais caché que tu parlais français !

Je ne parle pas français, vraiment pas... Mais je parle espagnol, alors ça m’aide un peu.

Ça date de tes débuts, quand tu jouais dans la rue à Barcelone ? Tu écrivais déjà tes propres chansons ?

Non, je n’avais encore rien composé ; je jouais des reprises de Ben Harper, Ani DiFranco, Joni Mitchell... Mes modèles ! J’essayais de les reprendre du mieux que je pouvais.

JPEG - 52.8 ko

Ce soir, tu joues avec Rebekka Karijord ; peux-tu nous la présenter ?

Rebekka est norvégienne mais vit en Suède, comme moi. Nous partageons un home studio à Stockholm. Elle a sorti deux albums en Norvège, sous le nom Rebekka and the mystery box. Elle est aussi actrice, elle a joué dans pas mal de films en Norvège. Actuellement elle prépare son troisième album. Ce soir elle fera les chœurs pour moi.

Tu as visiblement un grand besoin de chœurs.

Oui, mais je peux aussi jouer seule, comme je viens de le faire aux USA et au Canada pendant un mois. Mais c’est vrai que j’apprécie d’avoir quelqu’un pour chanter avec moi sur scène.

D’ailleurs sur Sketches, la plupart des chansons comporte déjà des chœurs.

Ce que l’on entend sur Sketches, ce sont réellement les démos que j’ai envoyé à Valgeir Sigurðsson, mon producteur islandais, pour qu’il écrive les arrangements. Ces démos me plaisaient tellement que j’avais envie d’en faire quelque chose. Et puis ça correspond à une demande du public, puisque c’est à peu près la manière dont j’interprète les chansons quand je suis seule sur scène.

En général, ce sont Nina Kinert et Rachel Davis qui apportent les harmonies vocales pendant les premières répétitions. J’ajoute ensuite les miennes, pour renforcer encore l’effet, parfois avec l’aide de Linnéa, ma violoncelliste. Sur la chanson Armour, c’est moi qui chante tous les chœurs. On a surnommé ce morceau « Yma Sumac » parce que je chante très haut, un peu comme elle.

A propos de Yma Sumac, j’imagine que tu as appris sa disparition toute récente ?

Oui, j’ai appris ça hier... elle était assez âgée je crois. Sa voix était vraiment incroyable. Je suis réellement fascinée par les voix. Quand j’écoute quelque chose, si la voix n’est pas intéressante, ça ne m’intéresse pas non plus !

JPEG - 53.2 ko

Ce soir, tu joues dans une salle jazz...

...j’ai été bercée par le jazz, j’ai grandi en écoutant Miles Davis, Charles Mingus, Coltrane, Herbie Hancock...

...Et tu as collaboré avec le duo jazz suédois Koop

Oui, j’ai fait une chanson avec eux [Island Blues, ndlr]. J’ai participé à l’écriture des paroles, et ils m’ont demandé de la chanter. J’aimerais bien continuer à collaborer avec eux, je les apprécie vraiment.

Il y a deux mois, une autre norvégienne jouait ici, au Sunset-Sunside : Kristin Asbjørnsen, qui vient de sortir un disque de reprises de spirituals américains. J’imagine qu’une chorale gospel te plairait beaucoup pour tes chœurs...

C’est vrai que les chœurs sur mes albums se rapprochent de plus en plus d’une grande chorale ! Alors tout peut arriver par la suite ! [rires]

Il me semble que ton ami Tobias Fröberg l’a fait

Oui, il est allé enregistrer à Los Angeles ! Il adore les choeurs. On a tourné ensemble encore récemment, c’est un ami proche. Et Howe Gelb de Giant Sand a enregistré tout un album avec un chœur gospel. Génial !

Si tu faisais un « Duets 2 », qui aimerais-tu inviter ?

Hm... Peut-être Keren Ann. J’ai joué avec elle à New York il y a quelques jours. Et j’avais fait sa première partie ici à Paris, il y a deux ou trois ans, c’était à... l’O... hm... l’Opéra ? Non...

...l’Olympia ?

Oui voilà ! C’est là que nous nous sommes rencontrées. Je faisais sa première partie. Et nous avons aussi tourné ensemble au Royaume-Uni.

Comment t’est venue l’idée de reprendre « Big in Japan » ?

En fait, ce n’est pas mon idée ; j’ai fait ça pour une émission de télé en Suède [ndlr : « Stor i Japan », dont le concept est d’envoyer deux suédois au Japon pour qu’ils tentent d’y devenir célèbres en un mois]. Un ami travaillait sur ce projet, et il m’a demandé de reprendre cette chanson, ainsi qu’à cinq ou six autres artistes.

Une autre de tes reprises, « True Colours », illustre en ce moment une pub TV

Oui, une pub pour Sky TV, au Royaume-Uni. De nos jours, on ne peut pas refuser une telle opportunité. On n’a plus le choix. Les CD ne se vendent plus, et les tournées coûtent cher. Et puis ça me donne un espace pub gratuit à la télé !

Quand tu composes, comment s’organise ton processus de création ?

C’est un peu comme un puzzle. Trois phrases me viennent sur quelques notes de guitare, et les deux se nourrissent mutuellement. La mélodie vient souvent des mots. J’improvise sur le texte, et si je tombe en panne de mélodie, j’écris encore quelques lignes. Il est très rare que j’invente une mélodie sans mots. Beaucoup de gens en sont capables, ils composent en faisant « la la la », et écrivent le texte ensuite. Moi je fais ça plutôt dans l’ordre inverse. Je ne chante jamais « la la la » !

Tu as toujours quelque chose d’intéressant à dire, en fait !

Toujours ! [rires]

Dans quelles proportions tes textes sont-ils tirés de ton expérience personnelle ?

C’est forcément « à travers moi » d’une certaine manière. Beaucoup de chansons pesantes et tristes viennent d’une tranche de ma vie, d’une journée particulière. Ca peut venir d’une expérience marquante un jour donné, et j’en fais une chanson parce que ça me bouleverse, en quelque sorte. Mais ça peut aussi relater une période plus longue. Quand on écoute l’album, on doit vraiment penser que j’ai eu une vie horrible [rires] mais en fait, non. C’est juste que je ne parle pas forcément des moments heureux.

Certaines chansons ne sont pourtant pas totalement noires : le morceau-titre « Changing of the seasons » par exemple...

Disons qu’il est moins douloureux que A Temporary dive, c’est certain ! Pour cette chanson, je me suis inspirée d’un riff de Ani DiFranco.

Et aussi de ta chanson « the fight song » ?

En fait, le riff de Changing of the seasons est tout simplement l’intro de The fight song. Je l’ai repris pour en faire une nouvelle chanson.

Par ta manière de mettre « trop de mots à la fois », comme sur les refrains de The treehouse song ou The Puzzle, tu me fais parfois penser à Hello Saferide

C’est gentil ! J’aime bien ce qu’elle fait. C’est vrai que pour cet album, j’avais décidé de changer un peu. Au lieu de chanter de looooongs mots, j’ai compris que je pouvais en mettre davantage ! Ça devient donc plus rythmique.

JPEG - 41.2 ko

Qui est Gillian ?

Gillian Welch, une auteur-compositeur américaine. Je l’adore.

Tu lui as fait écouter ta chanson ?

Je lui ai envoyé l’album, mais je ne l’ai pas contactée directement. En fait, j’essaye de me mettre à sa place, et si quelqu’un écrivait une chanson sur moi, je crois que j’aimerais garder une certaine distance, tout en appréciant vraiment. En tout cas je n’ai pas forcément l’intention de la rencontrer. L’important reste la musique.

Dans la première chanson de ton premier album, « Humming one of your songs », tu parles d’un refrain qui t’obsède, que tu fredonnes sans cesse. A qui ou à quoi pensais-tu ?

C’était à mes débuts, je rencontrais beaucoup de musiciens, des gens nouveaux, qui m’apportaient beaucoup. Et quand je pensais à eux, je fredonnais leurs chansons, qui leur étaient associées. Nina Kinert, Tobias Fröberg et Rebekka Karijord sont des amis proches. Donc j’ai philosophé là-dessus, c’est une sorte de métaphore sur l’amitié. Je pense à eux, donc à leurs chansons.

Avec le temps que tu passes en tournée, est-ce que tu trouves encore le temps de t’occuper du label que tu as créé ?

DetErMine Records est en fait un collectif d’artistes, composé de The Tiny, Wendy McNeil et moi-même. Mais nous gérons chacun nos labels respectifs. Le mien est Balloon Ranger Recordings, mais en effet je n’ai pas vraiment le temps de promouvoir d’autres artistes. En fait j’ai à peine le temps de m’occuper de mes propres projets !

Justement, quels sont les prochains ?

Un DVD live ! La captation d’un concert que nous avons donné à Stockholm début octobre, à Konserthus [concert house], là où ont lieu les cérémonies du prix Nobel. Il y avait 1400 spectateurs, nous étions 9 sur scène, plus une grande chorale avec notamment Nina Kinert, Anna Ternheim, Lisa Ekdahl, Tobias Fröberg et Elin Sigvardsson. Une chorale d’auteurs-compositeurs, en somme ! Anna est maintenant une bonne amie et excellente « collègue », quant à Lisa, je l’ai rencontrée cette année. Rebekka était là aussi. J’avais en quelque sorte mon groupe idéal ! Il y avait aussi First Aid Kit, un duo de deux filles signées sur le label de The Knife. Deux sœurs de 16 et 18 ans réellement prometteuses ! On a enregistré 27 chansons. C’était génial. Le DVD devrait être distribué en Scandinavie avant Noël.

Interview et photos : Benoît Derrier

Partager :

publié par le 20/11/08